C’est décidément une drôle de fashion week haute couture que cette saison automne-hiver 2025-2026 qui se termine jeudi 10 juillet, à Paris. Son rythme de croisière – quatre journées bien remplies, avec, au programme de chacune, beaucoup de petites marques et une ou deux grandes maisons – a été troublé par l’absence de poids lourds (Dior, Fendi, Valentino, Jean Paul Gaultier). Mais aussi par un départ, une arrivée et une défection.
Demna a présenté, mercredi 9 juillet, sa dernière collection pour Balenciaga avant son arrivée chez Gucci. « Je ne saluais jamais à la fin des shows, car j’avais l’impression de ne pas le mériter. Mais là, je me suis dit que c’était le moment », explique le designer après le défilé organisé dans les salons historiques de l’avenue George-V. Pour ses adieux, le Géorgien a cherché à « pousser un peu plus loin [ses] obsessions vestimentaires habituelles ».
Le résultat est conforme à ce que l’on peut attendre de Demna : les tailleurs féminins ont des encolures rigides et montantes « à la Nosferatu », les robes du soir à la démesure hollywoodienne sont conçues dans l’organza « le plus léger du monde », les costumes masculins ont été conçus sur mesure pour un culturiste, mais sont portés par des hommes aux morphologies très diverses, dont le mari de Demna. « Ce n’est pas le vêtement qui définit le corps, mais le corps qui définit le vêtement », explique le designer.
Cette dernière collection n’est pas un coup d’éclat comme Demna en a été capable par le passé, mais elle ferme de manière honnête sa décennie balenciaguesque. Et a réuni une assemblée impressionnante : Isabelle Huppert et Kim Kardashian ont défilé, et l’on a rarement vu autant de stars au premier rang (de Katy Perry à Aya Nakamura). Parmi les autres invités notables, on compte Guram Gvasalia, le frère de Demna ; ensemble, ils ont lancé la marque Vetements avant de se brouiller. Et Pierpaolo Piccioli, son successeur chez Balenciaga.
« Cela fait quinze ans que je vis à Paris, et je pars pour de bon lundi. Je n’ai jamais vécu aussi longtemps quelque part, raconte Demna, qui, dans son enfance, a dû fuir la guerre en Géorgie. Je voulais rendre hommage à Paris, c’est pour ça que les photos de cette collection ont été prises dans la rue. Cette collection, c’est vraiment une lettre d’amour à Paris et à Balenciaga. » Son départ permettra peut-être de relancer la marque, mais laissera indéniablement un vide dans la capitale.
Le même jour, Glenn Martens a montré sa première collection pour Maison Margiela. Il succède à John Galliano, designer vénéré par le milieu de la mode, dans une maison réputée pour sa capacité à réinventer les codes vestimentaires. Autant dire que la pression est forte pour ce Belge de 42 ans qui, auparavant, a piloté la petite marque Y/Project et est encore le directeur artistique de la griffe de denim Diesel (propriété du groupe OTB, comme Maison Margiela).
Son défilé a lieu loin du « triangle d’or », où s’installent la plupart des marques. Et prend place au Centquatre, centre culturel du Nord-Est parisien, dans les sous-sols qu’il a tapissés de papiers froissés, avec, au sol, un revêtement en PVC imitant du parquet volontairement mal posé. Si Glenn Martens s’amuse avec le décor, les tenues sont tout ce qu’il y a de plus sérieux.
Les robes bustier sont taillées dans du plastique transparent et remplies de ce même matériau ; un tablier est fabriqué à partir d’un patchwork de pantalons en cuir, embossé d’un motif floral imitant les peintures flamandes du XVIe siècle et peint à la feuille d’or ; une jupe est composée d’un enchevêtrement d’ailes en tissu. D’impressionnantes robes en satin métallique ondulent autour du corps comme des vagues étincelantes prêtes à engloutir celles qui les portent. Les nombreuses références au travail du fondateur Martin Margiela épousent parfaitement le gothique flamboyant de Glenn Martens.
Cette collection, qui déploie des techniques insensées, possède une beauté aussi stupéfiante que dérangeante : les masques qui couvrent tous les visages, les corsets serrés et les jupes étroites, les ceintures qui se résument parfois à un fil enserrant le ventre… Tous ces éléments participent à la tension dramatique, mais donnent aussi l’impression d’une mode étouffante, qui rudoie celle qui la porte.
Chez Armani, pas de Giorgio. Le créateur, qui fêtera ses 91 ans le 11 juillet, n’a pu se déplacer à Paris pour le défilé de sa ligne haute couture Armani Privé. Déjà, à la fashion week masculine de Milan, fin juin, il n’avait pu saluer le public à l’issue de ses deux shows, une infection pulmonaire l’ayant obligé à garder le lit. Sa présence dans la capitale était prévue. Même s’il va mieux, assure-t-on dans son entourage, son médecin lui a déconseillé le voyage. Le créateur a tout de même pu surveiller étroitement les préparatifs de ce show, en visioconférence.
La collection est présentée dans le « palazzo Armani », un hôtel particulier classé, au 21, rue François-Ier, que la marque a acheté en 2024 pour y installer ses bureaux et recevoir ses clientes haute couture. Les salons qui leur sont réservés, situés à l’étage noble, tout en marbre et dorures, constituent un écrin idoine pour mettre en scène la haute couture d’Armani, qui, depuis sa création en 2005, a toujours fait preuve d’un goût prononcé pour l’apparat. Cette saison encore. Le velours noir est la base commune à des looks chargés de nœuds (ton sur ton, mais pailletés), de plumes, de strass, de volants. Faussement sobres, les tenues scintillent de mille feux, dévoilent le dos ou les épaules (ou les deux), épousent la forme du corps. Même si le designer n’était pas là pour saluer, on a bien reconnu sa patte.