« Là où tout se tait », de Jean Hatzfeld : la tentation du Bien

Bien sûr le mal est une tentation, et le nouveau livre de Jean Hatzfeld, comme les précédents qu’il a consacrés au génocide rwandais, décrit la joie obscène des tueurs, leur « gourmandise terrible ». Pourtant, il existe aussi une tentation du Bien. Hatzfeld l’aborde avec sa méthode habituelle, celle qui lui a permis de bâtir une œuvre indispensable : plutôt que d’en faire une théorie, il recueille des paroles, toutes plus vertigineuses les unes que les autres, dans l’espoir de leur être fidèle. Là où tout se tait donne donc abri à quelques êtres rares, des Hutu qui ont cédé au mystérieux désir de se tenir bien.

« Dieu m’a permis de refuser la tentation de saigner mes prochains », s’émerveille Silas Ntamfurayishyari, un ancien militaire qui a sauvé plusieurs Tutsi en les guidant à travers la forêt. « Dieu nous propose des libertés, j’en ai pris une », observe Valérie Nyirarudodo, une sage-femme qui a sauvé l’enfant d’une Tutsi. « J’ai refusé la mort chez moi, j’ai choisi la traîtrise ethnique, j’ai proposé une gentillesse secourable dans un moment risquant sans balancer. Risquant comment ? Tu cachais un Tutsi dans tes sorghos, tu méritais un coup de machette. C’était péché capital », constate Jean-Marie Vianney Setakwe, un agriculteur qui a indiqué comment survivre à trois Tutsi qui zigzaguaient en tremblant à travers les bananiers.

De fait, beaucoup de ces Justes ne sont plus là pour témoigner. Ceux qui n’ont pas été assassinés ne bénéficient d’aucune reconnaissance. Au mieux ils suscitent l’embarras, au pire l’exécration. Si bien que le texte d’Hatzfeld, qui les nomme un à un dans un geste de remémoration fraternelle, leur tient lieu d’unique monument. Pour survivre dans la conscience des hommes, ces « cœurs gentils » peuvent compter sur l’écrivain au cœur brûlant.

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