« Pour mes élèves, ce qui relève de l’anecdote, c’est qu’Emilie du Châtelet soit mathématicienne »

J’ai beau me battre, évoquer avec détermination sa traduction des Principia d’Isaac Newton, mes élèves de 4e – j’enseigne l’histoire au collège – ne retiennent que deux choses de la vie d’Emilie du Châtelet (1706-1749) : ses liens avec Voltaire ; sa mort en couches.

Entre eux et moi, cela vire au bras de fer. Je veux leur présenter Emilie dans son unité : son histoire raconte aussi bien l’émancipation d’une femme (traduire Newton, avoir des amants) que son assignation à sa condition biologique (être enceinte à 42 ans, mourir des suites d’une fièvre puerpérale). L’un ne va pas sans l’autre.

Mais rien n’y fait. Sans doute parce que, pour mes élèves, ce qui relève de l’anecdote, c’est qu’Emilie soit mathématicienne. Cela n’a rien d’inouï pour des collégiens du XXIe siècle, même si c’est encore trop rare. Mourir en couches, en revanche, leur semble d’une puissance historique et mélodramatique terrible. Cela ne leur paraît en rien anecdotique. Et ils ont raison.

J’en viens ainsi à me demander si je ne suis pas anachronique à vouloir tout relier de la sorte. Emilie du Châtelet en aurait peut-être été la première consternée.

Dans ma quête contemporaine d’unité, un petit tableau est venu m’aider. Il a été réalisé en 1791 par une femme, Marie-Nicole Vestier, une portraitiste, fille d’un peintre et épouse d’un miniaturiste.

L’artiste s’y représente de face, regardant le spectateur, tenant dans sa main gauche une palette et des pinceaux. De sa main droite, elle soulève le rideau du berceau de son bébé, qui lui tend les bras, le regard plein d’amour filial. Derrière elle, par-dessus son épaule, on aperçoit le grand tableau sur lequel elle travaille, représentant son mari (ou son père, selon les interprétations). Sur la toile, l’homme nous regarde, lui aussi, droit dans les yeux.

Comme dans Les Ménines, de Velazquez (1656), notre regard se promène et explore les aléas de la cosa mentale et de la charge mentale ici représentées côte à côte. Il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas (l’homme qui prend la pose, sans doute).

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