« À son image », le roman corse de Thierry de Peretti

À son image***

de Thierry de Peretti

Film français, 1 h 50

On ne déflorera pas grand-chose si l’on dit que tout commence par un accident et un enterrement. Celui d’Antonia, photographe revenue sur son île, en Corse, après avoir renoncé à ses ambitions de reporter sur le front de la guerre en ex-Yougoslavie. C’est son oncle, prêtre, qui officie à ses funérailles. Et alors que ses proches se réunissent dans la maison familiale, les souvenirs du passé ressurgissent, reconstituant par bribes l’itinéraire de la jeune femme – depuis son adolescence au village jusqu’à ses désillusions professionnelles et personnelles, qui la conduiront à partir, puis à revenir.

Le roman de Jérôme Ferrari, dont le film est tiré, procédait ainsi, par fragments, et mêlait à ce récit diffracté la chronique intime du combat nationaliste corse, dans les années 1980-1990, ainsi qu’une réflexion sur les images et leur difficulté à représenter le réel. C’est tout l’art de Thierry de Peretti d’avoir su tenir tous ces fils à la fois, pour restituer à l’écran la matière complexe du livre et en réaliser une adaptation sobre et lumineuse, sans jamais perdre le spectateur en route.

Cinéaste et corse, le réalisateur s’est sans doute posé lui-même ces questions de représentation de la violence. Notamment quand il s’est agi d’évoquer au cinéma la lutte armée, ses dérives criminelles et ses guerres fratricides. Dans Une vie violente, il nous y faisait entrer de plain-pied par le biais de son héros, Stéphane, un étudiant embrigadé, et tentait d’en décortiquer les mécanismes intimes et idéologiques. Il y revient dans À son image, mais choisit cette fois le point de vue d’Antonia, et toute la mise à distance sur les événements qu’amène son regard de photographe.

Si la jeune femme est mêlée à cette histoire, c’est parce qu’elle est tombée amoureuse à l’adolescence de Pascal, qui deviendra par la suite un militant autonomiste, comme beaucoup de ses amis d’enfance du village où elle a grandi. Question de génération. C’est l’époque, à l’orée des années 1980, où dans les bals de village on entonne à tue-tête des chants contre « l’État colonial » et où l’on croit encore à la pureté de la lutte. De la prise d’otages à l’hôtel Fesch d’Ajaccio, en 1980, qui a fait trois morts, aux déchirements internes au FLNC, le film en retrace la lente dérive, ponctuée par les allers-retours de Pascal en prison.

Antonia n’approuve ni ne désapprouve, observatrice prudente, tout à son désir de trouver sa propre voie comme photographe. Ses amitiés la placent aux premières loges. Engagée comme reporter à Corse-Matin, elle se rend vite compte que les logiques politiques et institutionnelles de l’île l’empêchent de porter un regard juste sur ce qui s’y passe : entre frilosité de son rédacteur en chef et mises en scène guerrières des militants nationalistes se filmant affublés de cagoules et d’armes de guerre. Son départ à Sarajevo ne lui permettra pas de résoudre cette contradiction.

À travers Antonia et son destin tragique, le film brosse un beau portrait de femme, portée sobrement par Clara-Maria Laredo, qui fait là sa première apparition à l’écran. Libre, amoureuse, ambitieuse, elle se retrouve prise dans l’écheveau parfois contradictoire des loyautés familiales, amicales, sororales, qui l’emprisonnent et l’étouffent. Entre des hommes qui surjouent un virilisme archaïque et des femmes, victimes collatérales d’un combat qu’elles n’ont pas vraiment choisi.

De bribe en bribe, sur une période d’un quart de siècle et à travers le destin de toute une bande de copains, À son image délivre ainsi la chronique, au parfum fortement nostalgique, d’une génération perdue. Elle se retrouve prise dans l’engrenage d’une violence qui va très vite la dépasser et devoir payer le prix fort d’un engagement qui s’avérera une impasse. Tout comme la vocation d’Antonia. Alors, autant photographier des couples de jeunes mariés, posant au soleil couchant devant les îles Sanguinaires, dans un autre type de mise en scène, celle du bonheur cette fois.

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Thierry de Peretti est né le 19 novembre 1970 à Ajaccio.

Formé dans la classe libre du Cours Florent, il débute comme acteur et metteur en scène de théâtre.

En 2001, il est lauréat de la Villa Médicis hors les murs et obtient le prix de la révélation du Syndicat de la critique pour Le Retour au désert, de Bernard-Marie Koltès.

Au cinéma, il a joué sous la direction de Patrice Chéreau dans Ceux qui m’aiment prendront le train (1998), d’Orso Miret dans Le Silence (2004) et Bertrand Bonello dans Saint Laurent (2014).

Après deux courts métrages, Le Jour de ma mort (2005) et Sleepwalkers (2011), il réalise son premier film Les Apaches en 2013, sélectionné à la Quinzaine des cinéastes à Cannes.

En 2017, il réalise son deuxième long métrage, Une vie violente, sur les luttes nationalistes corses, et Lutte jeunesse, un court métrage documentaire qui lui a servi à préparer le film.

En 2022, sort Enquête sur un scandale d’État, sélectionné au Festival de Saint-Sébastien (Espagne).

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