« Il ne se passe jamais rien ici », d’Olivier Adam : la disparue du lac

Il ne se passe jamais rien ici

d’Olivier Adam

Flammarion, 368 p., 22 €

Certains lieux ont deux visages : le décor sublime devant lequel s’extasient des touristes repartis dès leurs photos postées sur les réseaux sociaux ; et le cadre quotidien dans lequel vivent les habitants du cru, dont le regard s’est usé sur les paysages à force de beauté ou qui, parfois, conservent intact l’émerveillement. Il en va ainsi de ce village chic niché sur les rives du lac d’Annecy, en Haute-Savoie.

D’où qu’ils viennent, les vacanciers veulent la vue sur les eaux turquoise et la montagne pour écrin. Les locaux habitent, quant à eux, la maisonnette héritée des parents au cœur du bourg, le petit immeuble minable caché à sa sortie ou la villa tout en verre perchée sur les hauteurs pour embrasser la vue et être vue de tous.

L’appartement d’Antoine ressemble à sa vie. À 38 ans, il habite dans le studio d’un grand chalet de montagne que son père, ancien propriétaire d’un magasin de sport prospère, a découpé en trois appartements pour la location saisonnière. Antoine est prié de se faire discret, de rester cantonné à ses combles pour ne pas déranger les vacanciers, peu nombreux en cette fin de saison. Lorsque ses petits boulots ne lui permettent pas de payer le loyer symbolique exigé par son père, il s’en acquitte en quémandant cet argent à sa mère.

Antoine, c’est le fils cadet des Terrier, le raté, pensent tout haut son père et son frère aîné, tandis que sa sœur et sa mère le défendent envers et contre tout. Il a toujours traîné une fragilité à vif qu’il tente de noyer dans l’alcool, d’étouffer à coups d’excès. L’amour de sa vie, c’est Fanny, que son physique et son aura sensuelle destinaient au cinéma ou à la télévision, croyait-on. Mais presque aussi paumée qu’Antoine, elle s’épuise entre un job à la supérette et de l’aide à domicile. Ces deux-là ne sont ni ensemble ni séparés, tout aussi incapables de vivre avec l’autre que sans l’autre.

Olivier Adam entrelace les voix des habitants de ce village qu’il ne nomme pas : Antoine, les membres de sa famille, ses amis, le patron du café qu’il fréquente assidûment, etc. Mais pas Fanny, retrouvée morte sur une plage du lac, au pied d’une falaise. Tout accuse Antoine, qui l’a raccompagnée après une soirée arrosée et lui a offert le collier avec lequel elle a été étranglée. Pourtant, tous le croient innocent, y compris les policiers chargés de l’enquête.

Il ne se passe jamais rien ici déroule son récit en passant de tête en tête, d’événement en événement, avec une parfaite maîtrise. L’intrigue du polar captive jusqu’à ses dernières lignes, déchirantes. Mais plus encore, ce roman tire sa force de son étrange douceur en se tenant au plus près de ses personnages et de leur intériorité, qu’ils soient policier plein de doutes, adolescente mutique ou auteur venu écrire les premières pages d’un roman, figure dans laquelle il est permis de deviner un autoportrait sans concession. L’écriture caméléon d’Olivier Adam prend tour à tour les voix de chacun, tantôt monologues intérieurs, tantôt réponses à l’enquêteur.

Au-delà des personnages, c’est aussi ceux qui font vivre le village qui donnent le ton. Ensemble, ils dessinent l’intimité d’une petite communauté éclectique où tout le monde se connaît, tout le monde est lié. Une communauté avec ses inégalités cruelles, ses clans et ses hiérarchies, ses silences et ses séquelles de drames passés, ses secrets. Et, comme ailleurs, la violence des hommes.

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