Cette fois, ça y est. Ou presque. La première réaction de fission nucléaire de l’EPR de Flamanville (Manche), appelée « divergence » dans le jargon, devrait intervenir bientôt, vraisemblablement cet été. Une affaire de « quelques semaines », assure Alain Morvan, le directeur du projet, arrivé en janvier 2020 pour terminer le chantier. Celui-ci aura duré dix-sept ans, soit onze ans de plus que prévu, pour un coût total de 13,2 milliards d’euros selon EDF et 19,1 milliards d’euros selon la Cour des comptes. Quatre fois à six le budget initial.
Un tel événement n’était pas arrivé depuis vingt-cinq ans. La divergence du réacteur 2 de la centrale de Civaux 2 remontant au 27 novembre 1999.
Depuis l’autorisation de mise en service de Flamanville 3, accordée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) le 7 mai, les équipes mettent les bouchées doubles. Quelque 1 800 personnes travaillent quotidiennement sur le site, jour et nuit, week-ends et jours fériés compris. Le 8 mai, le chargement du combustible a démarré et s’est achevé le 15 mai. Au total, 241 assemblages dans lesquels se trouvent les pastilles d’uranium ont été insérés dans la cuve du réacteur. Le couvercle a été refermé et son étanchéité vérifiée.
Place donc aux derniers essais, qui suivent un protocole millimétré, sous le regard vigilant de l’ASN. Sur le site, les agents sont informés en temps réel de l’avancée des travaux. À l’entrée de la salle des machines, où se trouve l’imposante turbine Arabelle, qui ne tourne encore qu’à 8 tours à la minute, contre 1 500 en rythme normal, des écrans indiquent les essais en cours.
« Entre le chargement du combustible et la divergence, nous avons 1 500 tests à réaliser, avec à chaque fois plusieurs procédures à mettre en place, et nous n’en sommes qu’à la moitié», souligne Alain Morvan. Le fonctionnement des 89 grappes de commandes, ces groupes de tiges solidaires et mobiles qui permettent de ralentir (voire de stopper) la réaction nucléaire en absorbant les neutrons, a ainsi été testé. Tout comme le remplissage du circuit primaire avant sa mise sous pression.
La première semaine de juillet, des essais ont été réalisés pour refroidir rapidement le cœur du réacteur, c’est-à-dire le faire passer de 303 degrés et 155 bars, à 110 degrés. « Nous nous apprêtons à remettre le dossier définitif de divergence à l’ASN», explique Alain Morvan. Le gendarme du secteur va l’examiner avant de venir sur place effectuer une inspection. Quand il aura donné son feu vert, l’opération de divergence pourra être lancée.
L’EPR sera porté à environ 0,2 % de sa puissance, avec la première réaction en chaîne. « C’est comme faire démarrer une voiture en restant au point mort », explique François Tronet, chargé de la formation des agents de conduite. Les six équipes, composées d’une douzaine de personnes chacune, se préparent depuis des semaines à l’exercice. Elles s’entraînent dans un simulateur, réplique exacte de la salle de commandes, située à quelques mètres de là. Une vaste pièce, dans laquelle se trouvent les pupitres classiques à toutes les centrales françaises.
Mais la grande nouveauté de l’EPR est la numérisation des équipements de contrôle, avec quatre énormes écrans sur lesquels s’affichent une multitude d’informations. Pour la divergence, on peut voir le niveau de bores (ces atomes présents dans l’eau du circuit primaire qui permettent d’absorber les neutrons) ou l’évolution centimètre par centimètre des grappes de commandes. Ces derniers montent ou descendent dans la cuve pour faire varier la puissance du réacteur.
Des alarmes ont également été mises en place, comme ce tic-tac qui simule le rythme des neutrons (un millier à chaque son) frappant les barres d’assemblage, pour arriver à la fission nucléaire. « Chaque équipe s’est exercée au moins deux ou trois fois à l’opération de divergence », souligne Grégory Heinfling, le directeur d’exploitation de l’EPR.
Progressivement, l’EPR va monter en charge, avec différents points d’arrêt, qui feront l’objet à chaque fois de nouveaux tests, soumis pour certains à l’avis de l’ASN. Dans un premier temps, le réacteur ne produira pas d’électricité mais uniquement de la chaleur qui sera renvoyée dans un condenseur pour être retransformée en eau, rejetée en mer une fois refroidie.
Ce n’est qu’à partir de 25 % de puissance (soit 400 MW) qu’il sera connecté au réseau, avant la fin de l’été. Il devrait atteindre les 100 % à la fin de l’année. Mais les travaux, et leurs aléas éventuels, ne sont pas totalement finis. À l’issue du premier cycle du combustible, soit environ dix-huit mois après la divergence, le couvercle de la cuve, dont la construction a fait l’objet de malfaçons, devra être changé. La fabrication du nouveau vient de se terminer dans l’usine Framatome à Chalon-sur-Saône.
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Chez EDF, il n’y a pas que l’EPR qui soit compliqué à réaliser. Le groupe a bien du mal avec son projet de petit réacteur modulaire (SMR) Nuward, censé voir le jour avant la fin de la décennie. Fin juin, il a décidé de revoir entièrement sa conception et n’exclut pas d’acheter des technologies ailleurs. Ce mardi 9 juillet, il s’est notamment retiré de la course en Grande-Bretagne, où il faisait partie des six entreprises retenues en octobre par les autorités. Le fabricant d’Hinkley Point dit vouloir se concentrer sur le nouveau projet d’EPR, qui pourrait voir le jour sur le site de Sizewell.