Trois jours après l’annonce de l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis, qui menace de fragiliser leur situation, les acteurs économiques dont l’activité d’exportation est touchée par les mesures tarifaires du gouvernement Trump étaient reçus, mercredi 30 juillet à Bercy, par le ministre de l’économie, Eric Lombard, et plusieurs membres du gouvernement.
La réunion a rassemblé, autour de M. Lombard, les ministres Amélie de Montchalin (comptes publics), Marc Ferracci (industrie et énergie), Véronique Louwagie (commerce, artisanat et PME), Clara Chappaz (numérique), Nathalie Delattre (tourisme), Annie Genevard (agriculture) et Laurent Saint-Martin (commerce extérieur).
Les ministres ont tenté de rassurer les organisations patronales et les fédérations professionnelles touchées par ces droits de douane (le Medef, la CPME et l’U2P, côté patronal ; France Industrie, la Fédération bancaire française, l’Alliance du commerce, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) ou encore France Assureurs, entre autres, côté fédérations).
« Si la volonté de Donald Trump était de rééquilibrer la balance des biens, alors je crois qu’il n’y a pas de tabou à avoir sur la balance des services également », qui est excédentaire en faveur des Etats-Unis, a déclaré mercredi Laurent Saint-Martin à l’issue de cette réunion à Bercy. « Ce que nous poussons de façon très claire, c’est une exemption pour le secteur (…) des vins et des spiritueux, en plus de l’aéronautique », a-t-il ajouté à propos des secteurs qui pourraient être exonérés de droits de douane.
La ministre de l’agriculture, Annie Genevard, a, elle, avancé « que, selon toute probabilité, il pourrait y avoir un accord “0 pour 0” pour les spiritueux, mais pour les vins nous n’en savons rien ». « Je suis réduite à un niveau d’information qui n’est pas loin du vôtre », a-t-elle lancé aux journalistes lors d’une conférence de presse. La France exporte autour de 4 milliards d’euros de vins et de spiritueux vers les Etats-Unis, a fait savoir la ministre de l’agriculture.
En les additionnant au milliard d’euros d’exportations liés à l’agroalimentaire, des taxes portées à 15 % sur les produits européens, selon les conditions connues de l’accord trouvé dimanche, représenteraient 800 millions d’euros de taxes supplémentaires, a rappelé Mme Genevard. « Le niveau d’inquiétude du secteur est maximal. »
Des exemptions de droits de douane dans le secteur de l’aéronautique et concernant certains dispositifs médicaux exportés outre-Atlantique ont déjà été confirmées, mais aucune pour l’heure vis-à-vis des vins et des spiritueux. La Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS) estimait lundi que « la catastrophe [était] évitée » avec cet accord qui « évite l’application de droits de 30 % à compter du 1er août ».
Interrogée sur la possibilité que l’Etat vienne en aide aux secteurs, notamment des vins et des spiritueux, particulièrement impactés par les nouveaux droits de douane, Mme Genevard a répondu « qu’avant de parler d’aide il faut déjà parler des termes de cet accord, (…) qui n’est pas encore signé ». « Mais l’Etat ne s’est jamais dérobé dans son soutien aux filières », a-t-elle ajouté.
Lors du conseil des ministres, Emmanuel Macron, qui ne cesse d’en appeler à une Europe « puissance », a déploré mercredi que l’Union européenne n’ait pas été plus offensive sur les droits de douane face à Donald Trump et a jugé qu’elle pouvait encore arracher des concessions.
« Pour être libres, il faut être craints. Nous n’avons pas été assez craints », a lancé le chef de l’Etat, après trois jours de silence sur l’accord commercial annoncé dimanche entre Bruxelles et Washington. « La France a toujours tenu une position de fermeté et d’exigence. Elle continuera de le faire. Ce n’est pas la fin de l’histoire et nous n’en resterons pas là », a-t-il renchéri en conseil des ministres. Le président français, qui plaidait de fait la fermeté face à la surenchère commerciale de Donald Trump, s’est retrouvé assez isolé sur la scène européenne.
La négociation entre Washington et Bruxelles « a été très difficile » et « on a trouvé le meilleur compromis possible pour notre économie », a affirmé Eric Lombard, mercredi sur RTL, déplorant cependant un accord « inéquitable », alors que les Etats-Unis représentent 8 % des exportations françaises. « On savait que de toute façon on était dans une guerre asymétrique », a-t-il ajouté, se réjouissant toutefois que les négociations aient permis d’éviter « les contre-mesures [qui] frappaient directement l’économie européenne ».
« Nos entreprises sont tendues », a alerté Franck Choisne, président de la commission internationale de la CPME, mercredi, sur Europe 1. « D’un côté, on est heureux qu’il y ait un accord parce qu’il faut de la stabilité, mais d’un autre côté, cet accord n’est pas acceptable : 15 %, c’est énorme », a-t-il résumé.
Michel Picon, le président de l’U2P, a ainsi déclaré sur RTL attendre de cette réunion « de l’information », car « il y a des entreprises qui peuvent [en] être exemptées ». Peu exportatrices, les petites entreprises regroupées au sein de l’U2P seront pourtant affectées par les éventuelles pertes de parts de marché aux Etats-Unis des grands groupes pour lesquelles elles travaillent en sous-traitance. La fabrication de bouchons pour les bouteilles de vin, par exemple, cite M. Picon.
Dans les secteurs taxés à 15 % figurent l’industrie pharmaceutique, les vins et spiritueux, l’industrie agroalimentaire. « On continue à négocier avec les Américains pour que si possible les spiritueux, peut-être le vin, [voire] d’autres secteurs soient exemptés. C’est un travail qui est en cours », a souligné Eric Lombard. Et, a ajouté le ministre, « nous allons continuer à accompagner » les entreprises, « on va continuer à simplifier, on va travailler sur la compétitivité, on va travailler sur le financement des entreprises, on va travailler sur la protection du marché européen ».
Mardi, le patron du Medef, Patrick Martin, avait affirmé sur Franceinfo que « fondamentalement ce n’est (…) pas l’expression d’un rapport de force équilibré entre l’Europe et les Etats-Unis. Il y a des filières qui s’en sortent convenablement quand d’autres sont menacées ».
Pour Franck Choisne, à plus long terme, il va « falloir se mobiliser au niveau de l’Union européenne pour trouver des stratégies afin de se réindustrialiser et conquérir de nouveaux marchés », a-t-il ajouté.
Le ministre de l’économie s’est toutefois dit, mercredi sur RTL, « convaincu que, dans les mois qui viennent ou au plus tard dans les deux ou trois ans qui viennent, nous pourrons revenir à des accords plus équilibrés, parce que ce sera aussi l’intérêt des Etats-Unis d’Amérique ».