Un dossier « tentaculaire ». Le groupe des victimes de l’institution de Notre-Dame de Bétharram, à Lestelle-Bétharram (Pyrénées-Atlantiques), a déposé ce mardi 9 juillet devant le tribunal de Pau un quatrième corpus de 26 plaintes, portant à 102 le nombre de violences physiques et sexuelles dénoncées auprès de la justice, sans compter celles directement déposées à la gendarmerie.
Ces plaintes mettent en cause 22 adultes et un mineur au moment des faits dont la moitié sont encore en vie. Parmi eux, 9 religieux sont incriminés, dont 8 pour violences sexuelles, révèle le communiqué de presse du collectif de victimes de Bétharram.
« On peut vraiment parler de tout un système », n’hésite pas à affirmer Alain Esquerre, ancien élève de ce groupe scolaire situé entre Lourdes et Pau, devenu lui-même lanceur d’alerte et porte-parole des victimes dont il a déposé les plaintes.
Jusqu’ici, la majorité des accusations portaient sur des faits relativement anciens, s’étalant sur une trentaine d’années jusqu’à la fin des années 1990. La nouveauté, explique Alain Esquerre à La Croix, c’est qu’on trouve dans ce dossier un « viol caractérisé », perpétré en 1996, dont « la plainte n’est pas prescrite ».
« Je pense qu’on aura l’ouverture d’une information judiciaire sur ce dossier dans les prochaines semaines », ajoute-t-il confiant. Pour la première fois aussi, des parents ont déposé plainte « pour abus de confiance et tromperie », et une enseignante affirme avoir tiré la sonnette d’alarme à l’époque.
« Ces voyants rouges allumés auraient dû pousser l’établissement à prendre des mesures, commente le porte-parole des victimes. Or non, ça a été le déni, le repli sur soi pour se protéger mutuellement d’actes, je le rappelle, qui sont des actes criminels. »
Alain Esquerre évoque aussi une jeune fille âgée aujourd’hui de 24 ans victime de harcèlement dans les années 2010. Dans ce cas, ajoute-t-il, c’est le traitement de cette affaire par l’établissement qui « n’a pas changé », faisant porter la responsabilité sur la victime présumée au point de ne pas la réinscrire.
Au-delà de ces nouveaux éléments, Alain Esquerre dénonce « un même mode opératoire », notamment « des agressions sexuelles par deux pères directeurs durant deux ans consécutifs sur le même enfant », mais aussi l’enchevêtrement des responsabilités et l’omerta dont auraient joui les agresseurs, religieux et laïcs. « Il y a un réflexe de protection, affirme-t-il. Comme on a des choses à se reprocher soi-même, on va couvrir les turpitudes criminelles des collaborateurs. »
La crainte d’Alain Esquerre, c’est que « là où les prêtres qui ont dirigé Bétharram sont passés par la suite, il y ait eu d’autres agressions sexuelles », alors que la congrégation est aujourd’hui implantée dans une quinzaine de pays, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud.
À l’origine de cette accumulation de plaintes : un groupe Facebook qu’il a lancé fin décembre 2023 comptant aujourd’hui près de 1 200 membres. La libération de la parole d’anciens élèves a, depuis, donné lieu à plusieurs enquêtes journalistiques qui ont révélé au fil des mois une violence quotidienne au sein de cet établissement scolaire du Béarn – rebaptisé Le Beau Rameau en 2009 – très prisé de la bourgeoisie locale.
Les témoignages ont ainsi dénoncé des sévices corporels et psychologiques répétés sur des enfants d’une dizaine d’années, mais aussi des agressions sexuelles qui auraient été perpétrées par des laïcs et des religieux, dont plusieurs prêtres directeurs de l’établissement. Ce climat de violence aurait perduré au moins jusqu’à l’aube des années 2000.
L’établissement scolaire avait déjà fait l’objet de plaintes pour mauvais traitements en 1996. Un ancien directeur de Notre-Dame de Bétharram, le père Pierre Silviet-Carricart, membre de la congrégation du Sacré-Cœur de Jésus de Bétharram à l’origine de l’établissement, avait notamment été visé par deux accusations d’agressions sexuelles. Il avait mis fin à ses jours en 2000.
Comment la congrégation réagit-elle face à ce scandale ? « J’ai toujours des réponses très académiques, regrette Alain Esquerre. C’est ça vraiment qui est très surprenant sur ce dossier, c’est de ne toujours pas prendre la mesure et l’ampleur du problème des agressions sexuelles dans cet établissement. »
Joint par La Croix, le père Jean-Dominique Delgue, vicaire général de la congrégation, assure pour sa part de la « détermination » de celle-ci. « Conscients de la souffrance des victimes de ces actes abominables, nous nous sommes engagés dès que nous avons pris connaissance des premiers témoignages à tout mettre en œuvre pour qu’elles soient accompagnées du mieux possible dans ce douloureux et âpre processus de reconstruction. Nous nous tenons également à la disposition de la justice pour collaborer avec elle et lui mettre à disposition tous les éléments qui lui seraient nécessaires », écrit le père Delgue dans sa réponse. « Dès 2021, ajoute-t-il, des démarches d’identification, de réparation et d’accompagnement des victimes de religieux ont été entamées avec la Commission reconnaissance et réparation (CRR). »
Quant aux méthodes éducatives incriminées, il reconnaît qu’« il est très regrettable que de la violence ait pu être utilisée envers des enfants et des adolescents » : « Notre fondateur a insisté sur le respect dont doit être entouré l’enfant car “les enfants, disait-il, ont droit à leur réputation et les enseignants doivent les aimer et les estimer”, poursuit le vicaire général. Autant vous dire que l’utilisation de la violence dans l’éducation était un échec hier, comme cela l’est aujourd’hui. »
Interrogé par écrit sur la possibilité d’un caractère systémique des violences perpétrées et sur les causes de ces dysfonctionnements répétés, il n’a en revanche pas répondu explicitement. Pas plus qu’il n’a indiqué si la congrégation avait lancé des enquêtes dans les autres lieux où sont passés les agresseurs présumés, notamment dans les pays du Sud où elle est présente.