Amer Abu Hlayel a été libéré de prison le 15 avril mais, dans sa tête, il y croupit encore. Ses traits juvéniles contrastent avec la silhouette recroquevillée qui s’avance péniblement sur le pas de la maison familiale, appuyée sur une élégante canne en bois sculpté. Devant lui, la vaste terrasse surplombe une partie de Dura, ensemble dense d’habitations blanches qui recouvrent les collines jaunes du sud d’Hébron et de la Cisjordanie occupée, écrasée par l’air brûlant de ce milieu d’après-midi de juin.
Amer a une vertèbre cassée : un coup reçu en prison a réveillé une vieille fracture. Son bilan médical mentionne des veines dilatées dans les testicules. « C’est là que j’ai le plus mal. Le jour de ma libération, ils m’ont frappé dans la rue, devant les gens, grimace celui qui vient tout juste d’avoir 30 ans, les yeux rougis par les insomnies. Les souffrances physiques finiront par partir, mais celles de l’âme sont indélébiles. »
Amer travaillait dans une radio locale palestinienne quand il a été arrêté, le 4 décembre 2022, et placé en détention administrative, sans inculpation ni jugement. Il a été libéré au bout d’un an et quatre mois ; il avait perdu plusieurs dizaines de kilos. Une vidéo, prise par ses proches au moment de sa libération, le montre hagard et hirsute, en pleurs, avançant difficilement, soutenu par des hommes de la famille. Amer craint que son frère, Amr, 27 ans, un militant du Hamas, ne meure en cellule. Il a été arrêté le 19 décembre 2023 et souffre d’un cancer. Or, en prison, « il n’y a pas de traitement », lâche Amer.
Lui a été actif dans le mouvement islamique au sein de son université, mais affirme aujourd’hui qu’il n’appartient à « aucune mouvance ». Fin 2022, quand il entre en détention, il choisit d’être placé avec les prisonniers du Hamas, dont il se sent plus proche que ceux du Fatah, et dont la section a la réputation d’être mieux organisée, autour d’un mode de vie pieux.
Depuis sa libération, Amer Abu Hlayel ne sort pas de sa maison, ne dort quasiment plus, reste prostré devant sa télévision qui diffuse en direct les images des massacres de Gaza. A ceux qui lui demandent de raconter la prison, il se dit « revenu d’outre-tombe ». La peur l’a avalé, il a fini par y enfermer les siens. « Ma voix s’emporte vite, je suis sur les nerfs, sanguin. Personne n’ose plus parler à la maison. » Il a envoyé sa femme et son fils de 9 mois, Tawfiq, chez sa belle-famille pour dix jours. Il ne supportait plus les cris de l’enfant, admet-il en détournant le regard. Le bébé, né après sept ans de mariage, a vu le jour quand il était en prison. Le jeune père n’arrive toujours pas à le prendre dans ses bras.