Les résultats des élections législatives anticipées ont abouti à une composition inédite de l’Assemblée nationale, divisée en trois blocs de taille comparable, chacun loin de la majorité absolue fixée à 289 sièges : le Nouveau Front populaire (182 députés), la coalition présidentielle (168) et le Rassemblement national (RN) et ses alliés (143).
Le fonctionnement de la chambre questionne, faisant réémerger une série de termes. Groupes parlementaires, coalitions, oppositions, présidence de l’Assemblée, commissions ou encore gouvernement technique… Le Monde fait le point.
La 17e législature débutera le jeudi 18 juillet. La première séance à l’Assemblée nationale sera, comme le veut la tradition, présidée par le doyen de l’hémicycle, en l’occurrence José Gonzalez, 81 ans, réélu député Rassemblement national dans la 10? circonscription des Bouches-du-Rhône. Il organisera un scrutin à bulletin secret à la tribune pour nommer le président de l’Assemblée nationale qui succédera à Yaël Braun-Pivet. Tous les députés peuvent se porter candidat au perchoir. Il s’agit d’un scrutin en trois tours.
Pour être élu au premier ou au deuxième tour, l’un des candidats à la présidence doit obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés. Si ce n’est pas le cas, fait rare, un troisième tour s’organise et cette fois-ci une majorité relative suffit pour accéder au perchoir. En cas d’égalité, c’est la personne la plus âgée qui obtiendra la présidence.
« Habituellement, le groupe majoritaire l’emporte, mais les voix sont là si serrées que des alliances de circonstances peuvent émerger », avance le maître de conférences en droit public Thibaud Mulier. En l’état, Didier Maus, ancien conseiller d’Etat et expert en administration publique et droit constitutionnel, estime qu’il « est peu probable que [le président de l’Assemblée nationale] soit élu aux deux premiers tours ». Il ajoute : « Je ne vois pas qui pourrait faire l’unanimité, mais chacun devra essayer de trouver le candidat le plus consensuel pour qu’il fasse des voix en dehors de sa famille politique. »
Le ou la présidente de l’Assemblée a un rôle capital à la fois pour le fonctionnement de l’institution – il préside la conférence des présidents, qui fixe chaque semaine l’ordre du jour des travaux, ainsi que le bureau qui règle l’organisation et le fonctionnement interne de l’Assemblée – mais aussi en dehors. Il a par exemple un rôle de représentation, en France et à l’étranger.
Le 18 juillet, jour d’ouverture de la 17e législature, la formation des groupes parlementaires devra être officialisée par la remise à la présidence d’une déclaration politique. Pour pouvoir constituer un groupe, il faut au moins quinze députés.
« Le plus souvent, l’adhésion se fait selon l’appartenance politique de l’élu, mais certains groupes rassemblent des parlementaires issus de partis différents (par exemple, si le nombre d’élus n’est pas suffisant pour que ces partis forment un groupe autonome) », explique le site de l’Assemblée. C’était le cas du groupe Gauche démocrate et républicaine, lors de la précédente législature, qui réunissait les élus communistes et des députés ultramarins.
L’organisation en groupe permet de peser à l’Assemblée. Par exemple, les temps de parole lors de l’examen d’un texte sont attribués en fonction du poids de chaque groupe. Les places dans les commissions (voir plus bas) sont par ailleurs distribuées proportionnellement au nombre de députés dans chaque groupe.
Si un député ne souhaite pas ou ne peut pas adhérer à un groupe, il est non-inscrit, et dispose alors de moins de droits.
Un autre enjeu s’impose à l’issue de ces élections législatives. Aucun groupe n’ayant obtenu la majorité absolue, le jeu des alliances va être plus que jamais de mise. « Il y aura sûrement des tractations pour former des nouveaux blocs de groupes parlementaires », estime Thibaud Mulier. Il s’agira alors de coalition.
Les groupes doivent se déclarer majoritaire (pour celui qui a le plus de députés), d’opposition ou minoritaires. Ces derniers sont « des groupes de la majorité les moins nombreux ou des groupes qui ne se situent ni dans l’opposition ni dans la majorité », explicite le site d’Assemblée nationale. Les groupes d’opposition et minoritaires ont des droits spécifiques. Par exemple, ils « bénéficient d’une journée par mois réservée à un ordre du jour fixé par eux », détaille l’Assemblée.
Un groupe (et éventuellement ses alliés) a la majorité absolue quand il atteint 289 députés – soit la moitié plus un des 577 élus. Quand un bloc est supérieur en nombre aux autres sans pour autant avoir 289 députés, on parle de majorité relative.
C’était le cas lors de la législature précédente, mais le camp présidentiel (Renaissance, MoDem, Horizons) était bien plus important en nombre que ne l’est le Nouveau Front populaire, arrivé en tête des législatives : 250 députés pour le premier en 2022, 182 pour le deuxième cette année. En l’état, « les risques de blocage sont non négligeables », note Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public.
Une fois la présidence élue, l’Hémicycle devra désigner les membres des huit commissions permanentes qui composent l’Assemblée nationale : affaires culturelles et éducation, affaires économiques, affaires étrangères, affaires sociales, défense nationale et forces armées, développement durable et aménagement du territoire, finances et enfin lois. Les groupes parlementaires « sont représentés dans les commissions permanentes proportionnellement au nombre total de sièges qu’ils détiennent », explique le site de l’institution. Leurs compositions doivent être représentatives de la diversité de la chambre.
Didier Maus, ancien conseiller d’Etat, rappelle qu’il s’agit de postes à « gros enjeux » puisque les commissions procèdent, entre autres, à des amendements, soit la modification de textes législatifs.
Gabriel Attal a été maintenu à la tête du gouvernement lundi 8 juillet. Son gouvernement reste donc, sur le papier, de plein exercice ; il est à distinguer en cela d’un gouvernement démissionnaire qui ne peut, lui qu’expédier les affaires courantes. Ce régime n’a pas été choisi, peut-être parce que ce fonctionnement « réduit [le] périmètre d’action au strict minimum : le gouvernement doit alors se cantonner à un rôle très modeste, à la gestion du train-train quotidien. Mais il ne peut prendre aucune mesure politique significative, sous peine de la voir annulée par le Conseil d’Etat », expliquait Julien Boudon, professeur de droit public et spécialiste de la Constitution, dans un entretien au Monde.
Il paraît pour autant difficile, politiquement, pour le gouvernement Attal, de prendre des décisions importantes tant qu’il reste en place, ce qui ne l’empêche pas de conserver « une marge importante pour gérer le pays », note M. Boudon qui relève qu’il « existe un pouvoir réglementaire autonome, qui revient au pouvoir exécutif, avec son propre lot de décrets, d’arrêtés, d’ordonnances, de circulaires… »
Mercredi, Emmanuel Macron a demandé aux « forces politiques » de construire un « rassemblement autour de quelques grands principes pour le pays, de valeurs républicaines claires et partagées », un préalable pour qu’il nomme un premier ministre. Et si cette « structuration » qu’il appelle de ses vœux peinait à se mettre en place, en raison du morcellement de l’Assemblée ? Le chef de l’Etat pourrait opter pour un gouvernement technique. Il s’agit de nommer des ministres sans affiliation politique pour assurer la continuité du service public.
A la différence du gouvernement démissionnaire, un gouvernement technique « a toutes les compétences constitutionnelles », assure Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public. Il a donc les « moyens juridiques » de mettre en œuvre des réformes issues d’un consensus mais à ses risques et périls. Comme tout gouvernement, sa responsabilité peut être engagée à l’Assemblée nationale et il peut ainsi être renversé s’il cherche à faire passer une réforme avec une coloration politique trop marquée.
La France n’a encore jamais expérimenté une telle disposition. M. Mulier note toutefois qu’en Italie ou en Belgique, les gouvernements techniques ont montré que « plus le temps passe, plus ils ont de l’influence et prennent l’ascendant » sur les prises de décisions.