Lors du sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord à La Haye, en juin, la France s’est engagée, avec les 31 autres membres, à porter ses dépenses de défense à 5 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici à 2035. Emmanuel Macron a précisé que le budget français atteindrait 64 milliards d’euros dès 2027 – soit le double de 2017 –, grâce à des crédits supplémentaires de 3,5 milliards en 2026 et 3 milliards en 2027. Pourtant, sans gouvernement pour présenter un budget, ces engagements risquent d’être retardés. Au-delà de l’urgence géopolitique, une question fondamentale se pose : ces dépenses massives, si elles sont indispensables pour notre sécurité nationale, pourront-elles aussi devenir un moteur d’innovation et de croissance économique ?
La relation entre dépenses militaires et développement économique a longtemps divisé les économistes. Au XVIIIe siècle, dans La Richesse des nations (1776), Adam Smith considérait sans ambiguïté les dépenses militaires comme une pure perte. Pour le père du libéralisme économique, les armées et les flottes ne produisent rien ; elles consomment simplement des ressources qui pourraient être mieux employées dans l’agriculture, l’industrie ou le commerce. Cette vision, reprise par David Ricardo et Jean-Baptiste Say, a dominé la pensée économique pendant plus d’un siècle. Pour les classiques, la guerre appauvrit les nations en détournant les ressources des activités véritablement créatrices de richesse.
L’histoire du XXe siècle allait cependant remettre en cause ce dogme. Pendant la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis sont sortis de la Grande Dépression grâce à l’effort de guerre : le chômage a chuté, l’industrie a tourné à plein régime, et des technologies majeures comme l’aviation moderne ont émergé sous l’impulsion des commandes publiques. L’Anglais Keynes ne glorifiait pas la guerre, mais reconnaissait que, dans certains contextes, elle pouvait servir de puissant stimulus économique. Cette idée révolutionnaire a ouvert la voie à une réévaluation du rôle de l’Etat dans l’économie.