Elle se lève à 6 h 30 et pourtant, il est déjà debout. Douché, habillé, ses cheveux, qu’il a gardés beaux et doux, bien rangés. Sa bonne odeur de gaufre déjà partout dans la cuisine. Son cahier bleu est posé devant lui sur le bois du bar. Assis sur une des deux chaises hautes qui le forcent à se tenir aussi droit que le tassement des vertèbres imposé par les années le permet, il écrit dans son journal. Comme chaque matin, ses pages de l’aube, son quelque chose rien qu’à lui. Le découvrir au quotidien, alors qu’ils se connaissent depuis plus de soixante-dix ans, la bouleverse.

Elle pensait tout savoir de lui, ils se sont tout dit, rien épargné, liés depuis toujours, à jamais, par leur attachement commun à la vérité. Mais, c’est vrai ce qu’on dit, tant que tu ne vis pas avec l’autre, tu ne sais pas. Elle ne savait pas ses nuits saucissonnées, à se lever toutes les deux heures, pour aller boire du lait ou guetter on ne sait quoi par la fenêtre, les yeux mi-clos. Elle ne savait pas son obsession de l’ordre, sa façon de tout ranger dans des pots, les pâtes, le riz, la farine, les amandes. Elle ne savait pas sa passion à ce point pour le mauvais sucre et le téléphone ; les heures qu’il passe à bavarder au téléphone avec ses amis, pendant qu’elle n’a besoin de parler qu’à lui et à sa fille.