La démocratie française est malade et ses maux sont multiples. Depuis douze ans, l’étude « Fractures françaises », menée par l’institut Ipsos pour Le Monde, ausculte de façon très précise l’état de la société. En 2025, après des mois d’instabilité politique, les résultats montrent une augmentation de la défiance, du désespoir, du déclinisme et une volonté de dégagisme… Des symptômes particulièrement inquiétants, qui illustrent la profondeur de la crise démocratique, à moins de deux ans de la prochaine élection présidentielle.
Déjà immense, le fossé entre les électeurs et leurs représentants semble s’agrandir. Ainsi, 96 % des personnes interrogées se disent mécontentes ou en colère de la situation du pays. Et, si le premier mandat d’Emmanuel Macron n’a pas réussi à réenchanter la politique, le second désespère une partie des Français avec de nombreux indicateurs en nette baisse depuis trois ans. Aujourd’hui, 90 % des sondés estiment que leur pays est en déclin, alors que ce taux n’était « que » de 75 % en 2022.
L’exécutif concentre toutes les formes de défiance, mais aucune autre forme de pouvoir n’a réussi à recréer de la confiance. De nombreux Français semblaient beaucoup attendre des élections législatives de 2022, puis de 2024, qui ont rééquilibré les pouvoirs. Mais le Parlement n’a pas su prendre le relais du présidentialisme d’Emmanuel Macron, vu comme trop vertical. Après de multiples motions de censure et des débats éruptifs, la cote des députés est à nouveau en chute libre.
Crise après crise, la parole politique ne cesse de s’abîmer. Depuis le début du mois de septembre, les Français ont vu un premier ministre démissionner, puis dire qu’il ne rempilerait pas, avant d’être de nouveau nommé à la tête du gouvernement. L’exécutif, qui a imposé puis défendu sa réforme des retraites, a été contraint de la suspendre. La droite s’est une fois de plus illustrée avec un président du parti Les Républicains, Bruno Retailleau, provoquant la chute du gouvernement dans une stratégie inverse à ce qu’il défendait depuis 2024. La gauche se déchire et le Rassemblement national, qui essaye de se notabiliser depuis des années, a promis qu’il censurerait « tout », soufflant ainsi sur les braises comme il l’a toujours fait.
Ce florilège de faillites individuelles et collectives fait courir un grand danger. Si deux tiers des sondés se disent encore attachés à la démocratie, des failles apparaissent. Désormais, 42 % des moins de 35 ans pensent qu’un autre système serait au moins aussi bon, et la tentation d’un pouvoir fort d’extrême droite existe dans de nombreuses catégories de la population. Ces signaux devraient obliger tous les acteurs politiques et l’ensemble de la société civile à réfléchir à la meilleure façon de faire évoluer la Ve République pour la rendre plus « ouverte » et moins peureuse vis-à-vis du peuple, comme l’a défendu la politiste Hélène Landemore dans une tribune publiée par Le Monde, samedi 18 octobre.
Conventions citoyennes, respirations démocratiques au milieu du mandat présidentiel, référendums locaux… Les idées ne manquent pas. Au-delà de la dette et de la situation internationale, les candidats devront avancer des pistes sérieuses lors de la prochaine élection présidentielle, sous peine de voir « les fissures et les fentes souterraines (…), replâtrées à grand-peine, se rouvrir violemment et devenir des abîmes et des gouffres », selon les mots de Stefan Zweig analysant, en 1941, la fin des démocraties européennes dans Le Monde d’hier.