Privilège des milliardaires : ils ont le temps de se pencher sur les questions essentielles. L’Antéchrist, par exemple. Depuis des années, c’est le sujet qui taraude Peter Thiel. Figure de la tech libertarienne, adepte d’un illibéralisme mâtiné de christianisme (un résumé succinct), l’investisseur est passionné – certains disent « obsédé » – par l’Antéchrist.
Généralement peu disert, Peter Thiel vient de consacrer un essai à la créature biblique dans la revue catholique First Things. Il a tenu une série d’interventions publiques sur le sujet, dont quatre – quatre ! – conférences à San Francisco, supposées être confidentielles mais dont le Guardian et le Washington Post n’ont pas eu de mal à se procurer les enregistrements.
La presse s’est interrogée sur cet « Antechrist Tour » – et sur la santé mentale de l’orateur : « You good, bro ? » (« frangin, tu vas bien ? »), l’a interpellé le média en ligne Futurism. Elle ne s’en est pas moins fait l’écho : Peter Thiel a été le premier milliardaire de la Silicon Valley à soutenir Donald Trump, dès 2016, et il a été le mentor de J. D. Vance, l’actuel vice-président. Comme l’écrit le chroniqueur Ross Douthat, qui l’a cuisiné sur son approche de la fin du monde pour le New York Times, l’ancien cofondateur de Paypal est probablement devenu « l’intellectuel de droite le plus influent des vingt dernières années ».
Loin de la bête aux « dix cornes et sept têtes » décrite dans le « Livre de la révélation », l’Antéchrist du XXIe siècle est, selon Thiel, un imposteur qui cherche à s’emparer du pouvoir sous le couvert d’un message de « paix » et de « sécurité ». Il utilise la peur du changement climatique, de la guerre nucléaire et du grand soir technologique pour promouvoir l’avènement d’un « gouvernement mondial », la hantise des libertariens hostiles à toute réglementation étatique.
Dans ses interventions, le milliardaire affiche érudition – virevoltant de la symbolique de l’Antéchrist dans le « Livre de Daniel », écrit avant même l’ère chrétienne, à la conceptualisation de la science moderne par le philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626), en même temps qu’un anti-« wokisme » primaire digne de la chaîne conservatrice Fox News.