Le gouvernement camerounais a reconnu, mardi 28 octobre, des morts dans les manifestations postélectorales, après la victoire contestée du président, Paul Biya, 92 ans, qui entame un huitième mandat. « Des manifestations illégales se sont soldées par des pertes en vies humaines et la destruction de biens publics et privés », a admis le ministre de l’administration territoriale, Paul Atanga Nji, au cours d’une conférence de presse, sans toutefois dater les violences ni donner de bilan précis.
Un calme précaire régnait, mercredi, dans les villes du pays secouées, la veille, par des manifestations sporadiques et limitées – quelques centaines de jeunes –, après l’annonce de la réélection du président Biya, au pouvoir depuis quarante-trois ans. Une victoire vivement contestée par son principal rival, Issa Tchiroma Bakary. A Douala, la capitale économique du pays, quatre personnes sont mortes, dimanche, lors d’un rassemblement, selon le gouvernorat régional.
Le ministre a déploré « plusieurs édifices publics, commerces et bien privés incendiés, saccagés et pillés » à travers le pays, dans des villes comme Dschang (Ouest), Ngon (Centre), Guider (Nord) ou Garoua (Nord). « Des scènes de pillages et de vandalisme » ont également eu lieu à Douala, la capitale économique, a assuré le ministre en fustigeant « l’irresponsabilité » d’Issa Tchiroma Bakary, qui devra « répondre devant les juridictions compétentes ».
De son côté, l’UE a invité, mardi, les autorités camerounaises à « identifier les responsabilités, à faire preuve de transparence et à faire justice, afin de lutter contre le recours excessif à la violence et les violations des droits humains », d’après un porte-parole du service diplomatique de l’Union, Anouar El Anouni. Dans la soirée, le président de la Commission de l’Union africaine, Mahamoud Ali Youssouf, a appelé au dialogue et, tout en félicitant Paul Biya, s’est dit « vivement préoccupé par les violences, la répression et les arrestations signalées de manifestants et d’acteurs politiques après la publication des résultats des élections ».
Lundi, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme avait demandé, sur le réseau social X, des enquêtes concernant ces violences : « Nous appelons à la retenue, à l’ouverture d’enquêtes et à la fin des violences. » Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel pour Human Rights Watch, demande également des investigations sur les « allégations d’usage excessif et létal de la force » des forces de sécurité, qui devraient « protéger les gens et non alimenter la violence ».
Paul Biya, le plus vieux chef d’Etat en exercice au monde, a été déclaré vainqueur avec 53,66 % des voix, selon les résultats officiels, contre 35,19 % des voix pour Issa Tchiroma Bakary, qui a dénoncé une « mascarade » électorale. La victoire de M. Biya, réélu jusque-là avec plus de 70 % des voix depuis plus de deux décennies, était attendue, tant son emprise sur les institutions semble ferme.
Mais l’engouement autour de la candidature d’Issa Tchiroma Bakary, notamment chez les jeunes, avides de changement, a surpris les observateurs. Pour Murithi Mutiga, responsable du programme Afrique à l’International Crisis Group, « la légitimité du mandat de Paul Biya est fragilisée, car une grande partie de ses propres citoyens ne croit pas en sa victoire électorale ». Il a, en conséquence, appelé le président Biya « à engager de toute urgence une médiation nationale afin d’éviter une escalade supplémentaire ».
La tension était vive, lundi, dans le fief d’Issa Tchiroma Bakary, à Garoua, où il a dit se trouver et être protégé par « mille » personnes devant chez lui, en affirmant que des « snipers » avaient tiré sur ses partisans, et en déplorant « deux morts » après l’annonce des résultats. Environ 150 jeunes restaient rassemblés, mardi, devant son domicile, sous l’œil de policiers déployés en nombre, selon un photographe de l’Agence France-Presse (AFP).
Dans la ville, quelques boutiques de la ville ont rouvert timidement, et les conducteurs de motos-taxis ont repris progressivement leur service, ont constaté des journalistes de l’AFP. Mais la peur persiste, la population reste sur le qui-vive et les écoles sont toujours fermées, les parents préférant garder leurs enfants à la maison par prudence. « Je reste chez moi toute la semaine. Si la violence reprend, on ne pourra pas s’enfuir à temps », confie un enseignant, sous couvert d’anonymat. Boubakary, 26 ans, résume l’atmosphère : « La violence peut exploser à tout moment. On espère que ça va se calmer. »
Le gouverneur de la région du Littoral, Samuel Dieudonné Ivaha Diboua, a déclaré à la télévision nationale avoir procédé à « 200 arrestations », principalement « des vandales, des drogués, des personnes désœuvrées… et non des militants d’un parti ». La ville de Douala était hautement sécurisée par l’armée et les forces de l’ordre, mardi, selon des journalistes de l’AFP.