Entre Paris et Alger, une détente fragile

La grâce accordée par le président de l’Algérie, Abdelmadjid Tebboune, à l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est une excellente nouvelle, à saluer sans réserve. Elle solde une injustice flagrante infligée à un esprit libre qui n’avait aucune raison recevable de se retrouver derrière des barreaux. Enjeu durant près d’une année d’une gravissime crise entre Paris et Alger, qui se nourrit d’autres contentieux, Boualem Sansal, 81 ans, a atterri dans la soirée de mercredi 12 novembre à Berlin, où il recevra des soins.

La libération de l’écrivain a été permise par les bons offices de l’Allemagne, dont le président, Frank-Walter Steinmeier, était intervenu auprès de son homologue algérien. En elle-même, la médiation de Berlin est lourde de sens politique. Elle sanctionne l’incapacité dans laquelle s’est trouvée la France de gérer sur le mode bilatéral classique un litige avec l’Algérie. Que Paris ait été contraint d’en sous-traiter le règlement à un « tiers de confiance », selon le jargon diplomatique, en dit long sur le délitement de ses leviers à l’égard d’Alger.

Si cette érosion ne date pas d’hier, la méthode utilisée par Bruno Retailleau durant l’année qu’il a passée au ministère de l’intérieur a littéralement grippé ce qu’il restait de coopération fonctionnelle. Le courroux de l’ancien ministre de l’intérieur vis-à-vis du régime algérien n’était pas totalement dénué de fondements. Le locataire de la Place Beauvau avait quelques raisons de marquer son exaspération face à l’attitude des autorités d’Alger, leurs jeux troubles et parfois violents au sein de la diaspora algérienne en France et le non-respect de leurs obligations en matière de réadmission de migrants irréguliers expulsés de l’Hexagone.

Bruno Retailleau a pourtant exploité ces griefs légitimes à des fins idéologiques et partisanes. Il s’est emparé du sujet « Algérie », « boîte à chagrins » – selon la formule de De Gaulle –, exsudant toujours ses ressentiments pavloviens dans une frange de l’électorat, pour orchestrer une campagne aux visées politiques transparentes. Si cette stratégie de la confrontation et du « rapport de force » lui a permis de conquérir en mai la direction de son parti, Les Républicains, elle a simultanément précipité la rupture de tout contact avec Alger et laissé sans solution les divers litiges en souffrance.

Il aura fallu son départ de la Place Beauvau pour que les tenants d’une diplomatie discrète, plus soucieux d’efficacité que de gesticulations, reprennent la main. Son successeur, Laurent Nuñez, technicien de la sécurité plus qu’idéologue, aura incarné ce changement de méthode. Prenant acte de l’inflexion française, l’Algérie a alors hâté le pas des discussions esquissées avec l’Allemagne pour formaliser la libération de Boualem Sansal. Emmanuel Macron l’a aussitôt présentée comme le fruit du « dialogue franc et respectueux » qui est désormais la ligne officielle face à Alger.

Mais la prudence prévaut sur la suite. La crise bilatérale n’est pas close. La grâce de Boualem Sansal est la condition nécessaire mais non suffisante pour une détente durable, alors que le journaliste français Christophe Gleizes, victime lui aussi de cette crise, est dans l’attente d’un procès en appel. Le Sahara occidental, les visas, les réadmissions, la mémoire, la nature répressive du régime d’Alger et les coups de boutoir ultra-droitiers en France vont continuer de miner le terrain. Mais, au moins, l’atmosphère s’allège-t-elle légèrement.

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