Menacé de marginalisation depuis 2017, le Parti socialiste (PS) vient d’obtenir une indéniable victoire en obligeant Emmanuel Macron à reculer sur la réforme des retraites. Fruit d’un compromis âprement négocié avec le gouvernement de Sébastien Lecornu, qui ne dispose pas de majorité pour faire voter les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale pour 2026, la suspension du passage aux 64 ans, votée mercredi 12 novembre dans un Hémicyle bondé par 255 voix contre 146, répond à la triple exigence que s’était fixée le parti d’Olivier Faure. Effacer la « blessure démocratique » qu’avait représentée en mars 2023 le recours à l’article 49.3 pour faire adopter une réforme très impopulaire ; faire plier le camp présidentiel qui avait cru pouvoir imposer le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite alors que son projet avait fait descendre à plusieurs reprises plus de 1 million de manifestants dans la rue ; arracher un gain immédiat pour un nombre non négligeable de futurs retraités.
Elargie, par voie d’amendement gouvernemental, aux carrières longues et aux métiers difficiles de la fonction publique, la suspension de la réforme jusqu’au 1er janvier 2028 devrait permettre à 3,5 millions de personnes d’anticiper de quelques mois leur départ. Celles qui pourront prendre leur retraite entre 2026 et 2030 sont susceptibles de faire valoir ce nouveau droit, arraché à la faveur d’une situation politique totalement inédite.
L’effet le plus immédiat du vote de mercredi a été de faire exploser les partis du bloc central, qui se sont divisés entre abstentionnistes, partisans du compromis et défenseurs acharnés des 64 ans. Mais le scrutin a aussi élargi une fracture au sein de la gauche : alors que les écologistes l’ont considéré comme une avancée, La France insoumise et le Parti communiste ont qualifié d’« entourloupe » ce décalage de quelques mois qui revient, selon eux, à entériner la retraite à 63 ans, soit au mieux « une compromission », au pire « une trahison » par rapport à la position défendue par ces partis en 2022 et 2023.
Une fois de plus, la gauche est renvoyée à ses vieux démons. Divisions et invectives marquent le retour de la compétition entre son aile la plus radicale qui joue la crise de régime et le camp réformiste qui assume le compromis. L’affrontement se répercute à l’échelle syndicale dans la divergence de vues qui réapparaît entre la CFDT et la CGT, au risque d’affaiblir le front face à un patronat de plus en plus intransigeant.
Mercredi, les socialistes ont incontestablement remporté une manche en remettant en cause le bien-fondé d’une réforme des retraites purement paramétrique et d’autant moins acceptée qu’elle faisait l’impasse sur le dialogue social, la question du travail et les perspectives qu’avait ouvertes le projet de retraite à points défendu en 2017 par le candidat Macron. Mais les socialistes n’ont pas encore gagné la bataille. D’abord parce que le Sénat, à majorité de droite, va tout faire pour rétablir les 65 ans et peser sur les arbitrages finaux.
Ensuite parce que le PS va devoir démontrer que ce qu’il a obtenu représente une vraie avancée, et répond à une profonde attente, au moment où la question du pouvoir d’achat supplante toutes les autres. A ce stade, nul ne sait comment sera financé le coût de la suspension, évaluée à 300 millions d’euros en 2026 et 1,9 milliard d’euros en 2027. Ce n’est que lorsque les payeurs seront connus que l’on pourra réellement savoir qui gagne et qui perd.