Pour les musulmans de France, l’année 2015, qui a débuté par les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, à Paris, et de Montrouge (Hauts-de-seine), et s’est achevée dans le bain de sang du Bataclan et des terrasses, à Paris, et aux abords du Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), marque un tournant funeste. Il y a un « avant et un après 13-Novembre », note Ibrahim Alci, président du Comité de coordination des musulmans turcs de France et coprésident du Conseil français du culte musulman (CFCM). « Jusque-là, on était plutôt tranquilles, on vivait paisiblement, notamment chez moi, à Roubaix [Nord], se remémore-t-il. Depuis les attentats, les musulmans ont une nouvelle peur, celle d’être regardés comme des coupables, qu’il y ait de la suspicion à notre égard, de devoir sans cesse se justifier. » Il se demande tout le temps s’il doit réagir : « A chaque attentat, je me dis, mon Dieu, j’espère que ce n’est pas encore un musulman », dit-il, ajoutant : « Les musulmans de France condamnent clairement et sans ambiguïté ces actes qui trahissent les valeurs de l’islam. »
En fait, le changement de discours à l’égard de l’islam et des musulmans a été progressif. « Dans un premier temps, la réaction des pouvoirs publics et de la classe politique a été plutôt retenue et rassembleuse, note le politologue et sociologue Vincent Geisser, spécialiste de l’islam de France. Les discours d’unité l’ont emporté. Si l’on a pointé les musulmans, c’était plutôt une demande de réaction en tant que communauté pour condamner les attentats. On les a soupçonnés d’indifférence. » Le chercheur, qui a mené une étude sur le sujet avec Omero Marongiu-Perria, dément tout « silence musulman » et souligne l’« injonction paradoxale » qui consiste à demander aux musulmans de ne pas former une communauté dans la République, mais de condamner les attentats en tant que communauté.