C’est l’avantage du métier d’écrivain : on peut l’exercer presque sans limite d’âge avec, lorsqu’on est en forme, une liberté qui n’interdit plus aucun sujet. Voyez la toujours pétulante Joyce Carol Oates. A 87 ans, cette grande plume américaine n’a jamais été aussi audacieuse artistiquement. Après six décennies d’une production littéraire à donner le tournis, elle livre aujourd’hui son 65e roman. Fox est un livre formidable au double sens du terme. Une œuvre d’une maîtrise et d’une actualité rares. Mais aussi – au sens étymologique du terme : formido, c’est la « crainte » en latin – un récit où s’installe un vertigineux sentiment de trouble et d’inquiétude. Le malaise règne, et Oates en jouit plus que jamais.
Aussi faut-il prévenir le lecteur, Fox n’est pas à mettre entre toutes les mains. On se souvient du précédent récit de Oates, l’excellent Boucher (éd. Philippe Rey, 2024), où l’écrivaine brossait le portrait très cru d’un gynécologue fou, un grand pervers obsédé par le besoin de détruire les organes sexuels des femmes qu’il prétendait soigner. Dans Fox, elle va plus loin dans l’exploration du mal et choisit d’aborder explicitement le thème de la pédocriminalité et des abus sexuels sur mineures. Pour certains, les analyses froides et précises qui font sa marque apparaîtront comme fascinantes littérairement – et socialement salutaires. Pour d’autres, elles laisseront une impression éprouvante, un mélange d’écœurement et de dégoût face à certaines scènes difficiles à soutenir.