Les statistiques officielles – fondement d’une gouvernance fondée sur des faits – sont aujourd’hui prises entre deux feux : la politique et la défiance du public. Dans certains pays, les agences sont marginalisées ; dans d’autres, les citoyens doutent de leur utilité. Si les systèmes statistiques ne parviennent pas à refléter les réalités vécues, s’ils ne fournissent que de simples moyennes abstraites, ils risquent de devenir une victime de plus de la crise de confiance démocratique.
« L’inflation est maîtrisée. » « Le PIB [produit intérieur brut] progresse. » « Nos villes sont sûres. » Ces affirmations, répétées à longueur de communiqués, suscitent désormais plus de méfiance que d’adhésion. Car pour de nombreux citoyens, les factures s’envolent, les économies s’amenuisent et l’avenir des générations futures s’obscurcit. Quand les chiffres contredisent l’expérience vécue, la confiance dans les experts s’effondre.
Depuis des décennies, les offices statistiques décrivent le monde à coups d’agrégats : PIB, chômage, inflation. Ces indicateurs sont utiles, mais leur logique gomme les écarts : le macro prime sur le micro, la moyenne efface la marge. Dire que « l’économie croît » n’a guère de sens pour celui qui voit son pouvoir d’achat s’éroder. D’où la montée d’une exaspération, que l’on pourrait résumer ainsi : « On ne mange pas du PIB. »
La crise est aussi d’ordre épistémologique : qui décide du contenu des savoirs ? Trop souvent, les experts ont monopolisé la définition des statistiques officielles. Leur travail reste indispensable, mais il doit s’ouvrir. En privilégiant les chiffres aux récits, les institutions statistiques se coupent de ceux qu’elles représentent. Une fois la confiance rompue, même les données les plus rigoureuses deviennent suspectes. Loin de rendre l’expertise obsolète, la participation citoyenne peut la renforcer : en révélant les angles morts, en enrichissant les indicateurs de la complexité du réel.