Certains textes méritent d’être lus, aussi médiocres soient-ils. Ainsi de celui qui conclut le livre collectif Les Guerres civiles. De la Renaissance à nos jours, dirigé par Jean-Christophe Buisson et Jean Sévillia (Perrin-Le Figaro Magazine, 378 pages, 22 euros, numérique 15 euros), une synthèse consacrée au génocide des Tutsi au Rwanda – entre 800 000 et 1 million de morts au printemps 1994. L’auteur, Frédéric Pons, ancien journaliste à Valeurs actuelles, réussit en effet un tour de force : concentrer en 20 pages tous les biais propres au révisionnisme qui, depuis plus de trente ans, s’efforce d’obscurcir la réalité des faits.
L’un d’eux consiste à l’assortir de restrictions plus ou moins explicites. Si Frédéric Pons parle bien de génocide, il ajoute : cette « tragédie (…) fut cependant le point d’orgue d’une histoire séculaire ». Pourquoi « cependant » ? Quel génocide n’a pas été précédé d’une histoire séculaire ? Cette phrase n’a aucun sens clair. Mais elle a une fonction : instiller le doute sur la spécificité du crime, en diluant la politique génocidaire mise en place par le pouvoir hutu dans de supposées continuités historiques. Soit une vieille lune, de longue date balayée par les historiens : l’« antagonisme immémorial entre les Tutsi et les Hutu ».
Ce qui est antagonique étant par nature réciproque, l’auteur peut dès lors faire des allers-retours d’un camp à l’autre, notamment pour souligner la présence d’« extrémistes » des deux côtés. Or l’extrémisme tutsi, s’il existe, n’a pas débouché sur un génocide. L’extrémisme hutu, oui. Peu importe à l’auteur, qui ne cherche justement qu’à relativiser cette différence radicale, en insistant sur des massacres commis par des Tutsi contre des Hutu, sans noter qu’ils n’avaient aucune commune mesure eu égard au nombre de victimes et à l’intention génocidaire. Une « folie meurtrière » universelle aurait régné dans le pays. Comment, dans ces conditions, désigner des responsables ?