Dans son nouvel ouvrage, L’Ordre de l’être, Christian Jambet, spécialiste de la philosophie islamique et académicien français, propose une histoire conceptuelle de l’idée de providence au sein du chiisme safavide – la religion d’Etat instaurée en Iran au XVIe siècle –, à partir de deux pôles de la pensée persane : Mir Damad (1561-1631) et Mulla Sadra (vers 1571-vers 1636). L’enjeu est de montrer comment des philosophes ont cherché à fonder une cosmopolitique, c’est-à-dire un ordre rationnel du monde et de la cité, conforme à l’ordre de l’être voulu par Dieu et procédant de sa souveraineté.

La providence, ici, n’est pas un thème secondaire, mais le lieu où convergent métaphysique, théologie et politique. Elle désigne la loi qui règle l’ordonnancement des êtres et légitime, par analogie, l’autorité dans la communauté chiite. La philosophie se présente ainsi comme une « religion philosophique », concurrente des théologies. Dans l’Iran safavide, où le duodécimanisme – doctrine reconnaissant douze imams comme guides légitimes de la communauté – devient religion d’empire, les savants doivent articuler autorité des imams, gouvernement de la communauté et hiérarchie des savoirs.

S’appuyant sur une lecture précise des traités de Mir Damad et Mulla Sadra, Christian Jambet replace ces textes dans le contexte d’une orthodoxie en construction : l’occultation de l’imam – c’est-à-dire son retrait du monde visible en attendant son retour eschatologique –, la montée des mujtahids – les jurisconsultes habilités à interpréter la loi religieuse en son absence – et la redéfinition de l’autorité sous les shahs Tahmasp (régnant de 1524 à 1576) et Abbas Ier (régnant de 1588 à 1629), souverains safavides qui consolidèrent le pouvoir impérial et l’unification religieuse du pays.

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