L’avocate tunisienne et chroniqueuse Sonia Dahmani « est sortie » de prison après avoir bénéficié d’une libération conditionnelle, a indiqué, jeudi, l’un de ses avocats, Sami Ben Ghazi, à l’Agence France-Presse (AFP).
Poursuivie dans plusieurs affaires liées à des déclarations sur des radios et des télévisions concernant l’existence de racisme en Tunisie, Mme Dahmani a été condamnée à au moins trois reprises ces derniers mois. Après avoir passé plus de dix-huit mois en détention, elle a obtenu sa remise en liberté conditionnelle « sur décision du ministère de la justice », ont indiqué plusieurs médias. Elle a « pu rentrer chez elle », mais elle reste assujettie à des mesures de contrôle judiciaire, a précisé à l’AFP son avocat.
Très critique envers le président tunisien, Kaïs Saied, Sonia Dahmani, 60 ans, avait été arrêtée le 11 mai 2024 à Tunis, de façon brutale et illégale, selon ses confrères, au siège de l’ordre des avocats, par des policiers masqués. Son interpellation musclée avait été filmée en direct par France 24. Mme Dahmani avait reçu le soutien de plusieurs barreaux d’avocats en France et de plusieurs organisations internationales.
Jeudi, le Parlement européen a adopté une résolution dans laquelle les députés se sont dits « profondément préoccupés par la détérioration de l’état de droit et des libertés fondamentales en Tunisie », citant le cas de Mme Dahmani. Le Parlement a condamné « sa détention arbitraire, le harcèlement judiciaire dont elle fait l’objet » et ses « conditions de détention ».
Les députés ont demandé « sa libération immédiate et inconditionnelle, ainsi que [celle] de toutes les autres personnes détenues » pour des délits d’opinion. Le Parlement a aussi appelé la Tunisie à abroger le décret présidentiel 54, « devenu un outil d’ingérence dans les libertés fondamentales ».
En juin, Mme Dahmani avait été condamnée à deux ans de prison pour une intervention radiophonique dans laquelle elle critiquait l’existence de cimetières et d’autobus réservés aux personnes noires dans certaines régions de Tunisie.
Mme Dahmani fait l’objet de poursuites dans cinq affaires liées à des déclarations ou des publications dans des médias. Ces poursuites se basent sur le décret 54 sur les « fausses informations » promulgué en 2022 par le président tunisien, un texte fustigé par les défenseurs des droits humains. Avant d’écoper de deux ans de prison supplémentaires en juin, elle purgeait déjà deux peines de vingt-six mois de prison au total pour avoir enfreint ledit décret.
Elle avait en particulier été condamnée à dix-huit mois d’emprisonnement pour avoir ironisé sur un plateau télévisé, en mai 2024, à propos de l’intention prêtée aux migrants subsahariens de s’installer durablement en Tunisie malgré une grave crise économique. « De quel pays extraordinaire parle-t-on ? », avait-elle répondu à un autre chroniqueur.
En février 2023, M. Saied avait fustigé l’arrivée de « hordes de migrants subsahariens illégaux » et un « complot » pour « changer la composition démographique » de la Tunisie, un discours qui avait déclenché une violente campagne antimigrants dans le pays.
Depuis que le président s’est octroyé les pleins pouvoirs lors d’un coup de force, en juillet 2021, des dizaines d’opposants, d’avocats, de journalistes et de militants d’aide aux migrants sont emprisonnés, soit en vertu du décret 54, soit pour des motifs liés à la législation antiterroriste ou pour « complot contre l’Etat ».