« Tout ce qu’on a fait jusqu’ici, c’était grâce à l’Usaid. » Dans le petit kiosque à café qu’il tient à Bouna, dans la région du Bounkani, dans le Nord-Est ivoirien, peint du même bleu vif que le ciel, Moussa Diallo a le cafard. Son association, l’Union des Peuls du Bounkani, a subi de plein fouet l’arrêt de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid).
« On organisait un festival intercommunautaire, avec un match de football qui opposait les civils et les militaires, on menait des campagnes de sensibilisation, on distribuait des dons dans les hôpitaux…, se souvient-il. Mais tout ça, c’est fini. »
Le Nord concentre l’essentiel des besoins humanitaire. Dans six des huit régions septentrionales, plus de 60 % des ménages vivent sous le seuil national de pauvreté, et, dans le Tchologo, le taux d’extrême pauvreté atteint même 24,4 % des ménages, plus du double de la moyenne nationale.
La baisse de l’aide au développement risque d’accentuer les difficultés de cette région frontalière instable, confrontée à de multiples menaces sécuritaires, et de faire, à terme, le lit de l’extrémisme violent. Ceux-ci se retrouvent désormais contraints de poursuivre leurs missions avec des moyens réduits, ou de laisser les populations livrées à leur sort.
La crise a été provoquée par la suppression de l’Usaid, annoncée le 20 janvier par le président Donald Trump, puis par le retrait américain du Fonds mondial, le principal bailleur de fonds dans la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, auquel Washington collaborait à hauteur de 30 %, et par les restrictions budgétaires du Bureau of Population, Refugees and Migration du département d’Etat des Etats-Unis.
Le financement de ce dernier pour les pays du golfe de Guinée a chuté de plus de 60 % en 2025, passant de 12,7 millions de dollars (10,9 millions d’euros) à 4,9 millions de dollars (4,2 millions d’euros), et forçant le bureau sous-régional de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés à fermer ses portes.
A Bouna, la fermeture d’Equal Access International, a été un coup dur pour la ville. L’ONG américaine avait lancé, en février 2021, le projet Resilience for Peace (R4P), financé par l’Usaid à hauteur de 20 millions de dollars pour une durée initiale de cinq ans.
Le programme visait à lutter contre la diffusion de fausses informations grâce à un réseau d’« influenceurs » communautaires actifs dans les villages et sur les réseaux sociaux, mais aussi à rapprocher les communautés entre elles, et les civils des forces de l’ordre et de l’Etat.
« En février, les coupes de l’Usaid étaient encore présentées comme une révision technique, se souvient Mirko Hoff, coordinateur des programmes de R4P. L’espoir semblait permis pour les projets comme le nôtre, alignés avec les nouvelles priorités des Etats-Unis, puisqu’ils abordaient des problématiques sécuritaires. »
L’espoir n’a pas duré. Le projet a officiellement été clôturé le 27 février et la cinquantaine d’employés licenciés. Mais R4P fait partie de ceux qui ont su rebondir. Le 1er avril, le projet est devenu une association locale, basée à Korhogo, dans le Poro. La quasi-totalité de son ancienne équipe travaille à nouveau pour lui, mais uniquement de façon bénévole.
« Quelque part, c’était catalyseur, philosophe M. Hoff, désormais directeur adjoint de l’association. Est-on pertinent ? A-t-on mené ce projet parce qu’on a reçu de l’argent des bailleurs internationaux, ou faisons-nous une vraie différence ? Si nous avons accepté de continuer le projet comme volontaires, c’est la preuve que nous y croyons vraiment. »
« La préfecture nous prête un bureau, mais on n’a pas d’eau ni d’électricité, soupire un membre de la cellule civilo-militaire de Bouna. On n’a quasiment plus de budget pour acheter des motos et payer le carburant. » Ces derniers sont pourtant indispensables dans les villages reculés pour pour faire remonter des informations sécuritaires aux forces de sécurité.
Dans une région particulièrement déficitaire en infrastructures sanitaires, les humanitaires craignent déjà une rupture de l’approvisionnement en intrants et médicaments pour les patients atteints du VIH et de la tuberculose, même si le programme mondial de lutte contre le sida, Pepfar, a été épargné pour le moment.
« Un technicien devait venir des Etats-Unis pour lancer un laboratoire d’analyses à Bouna, soupire Jacques Krako, président du réseau des ONG du Bounkani et directeur exécutif de l’ONG Les Flamboyants. Le laboratoire avait déjà été équipé. Mais le technicien n’est jamais venu, le projet a été abandonné. Le matériel est là, mais on ne peut pas l’utiliser. »
Le gouvernement ivoirien a pris le relais sur certaines urgences humanitaires, lui qui prenait déjà en charge, depuis 2021, les sites de transit pour les demandeurs d’asile, alors que quelque 80 000 Burkinabés se sont réfugiés en Côte d’Ivoire ces quatre dernières années.
« L’Etat de Côte d’Ivoire a fait preuve d’initiative et de responsabilité pour gérer la question migratoire, salue M. Hoff. Il a été aidé par les communautés locales qui ont montré énormément de résilience et de solidarité pour intégrer ces personnes. Mais ce domaine-là n’échappe pas non plus aux coupes. »
Le Programme alimentaire mondial des Nations unies a ainsi réduit depuis septembre son aide, poussant les réfugiés à quitter les camps pour aller chercher ailleurs leurs propres moyens de subsistance.