Quand Chanel fait de la Grosse Pomme son podium

Le 2 décembre, Chanel a organisé pour la troisième fois de son histoire son défilé métiers d’art à New York. Retour sur les occurrences précédentes.

Le concept de la collection métiers d’art a été imaginé en 2002 par Karl Lagerfeld pour mettre en valeur la virtuosité des ateliers artisanaux que Chanel a commencé à racheter dès 1985. Les deux premiers défilés métiers d’art sont présentés en fin d’année à Paris, rue Cambon, et baptisés de noms fantaisistes (« Satellite Love » en 2002 et « 5 à 7 » en 2003). Puis Karl Lagerfeld affine son projet et décide de lier ses collections avec une destination : « Paris-Tokyo » a lieu en 2004 et « Paris-New York » en 2005.

Le défilé new-yorkais du 7 décembre 2005 prend place dans les salons de sa boutique phare, sur la 57e Rue, tout près de Central Park. Les célébrités d’alors, parmi lesquelles figurent Lindsay Lohan, Ashley Olsen et Diane Kruger, posent devant des panneaux blancs envahis d’autocollants vintage (des étiquettes à bagages ou des timbres-poste) ; le défilé, quant à lui, a lieu dans une pièce sobre, tendue de noir, avec le chanteur Devendra Banhart à la guitare en guise d’accompagnement musical. La mise en scène n’a alors pas encore atteint les sommets de raffinement des années suivantes.

La collection aussi fait preuve de sobriété, presque entièrement en noir et blanc, avec quelques détails – notamment des bijoux, des pierres et des perles brodées dans les tweeds ou les velours. L’étroitesse du lieu permet d’observer de près le travail des six ateliers artisanaux que Chanel possède à ce moment-là : le parurier Desrues, le plumassier Lemarié, le brodeur Lesage, le bottier Massaro, le chapelier Maison Michel et le bijoutier Goossens, racheté quelques mois auparavant.

Au milieu des années 2000, Karl Lagerfeld semble aimanté par New York, où il s’achète un appartement et un studio photo : entre mai et août 2005, Chanel investit le Costume Institute du Metropolitan Museum of Art (Met) pour une vaste rétrospective. Et le 17 mai 2006, le designer organise un nouveau défilé à New York, pour la collection croisière, présentée sous la voûte monumentale de la gare Grand Central.

En treize ans, Chanel a bien grandi, ses « métiers d’art » aussi : la maison possède alors une vingtaine d’ateliers et manufactures, et son défilé de décembre ne cesse de faire des émules auprès de la concurrence – à l’instar de Versace qui, en 2018, a paradé à Wall Street deux jours avant le défilé Chanel du 4 décembre.

Cette année-là, c’est indéniablement la maison de la rue Cambon qui en met plein la vue : la griffe s’installe dans les vestiges du temple d’Isis de Dendour, au département égyptien du Met. Aucune marque n’a défilé dans ce musée depuis 1982, mais Chanel peut faire valoir ses liens avec l’institution qui a hébergé sa grande rétrospective en 2005. Et sans doute le Met a-t-il été sensible à la force de frappe de la griffe, qui, à la fin des années 2010, se surpasse chaque saison dans sa capacité à transformer un défilé en superévénement (« Chanel organise en quelque sorte son propre gala du Met », titre alors le New York Times à propos du défilé).

Parmi les centaines d’invités comptent des actrices de premier ordre (Penélope Cruz, Margot Robbie, Marion Cotillard ou Julianne Moore), et la plupart d’entre elles sont des égéries Chanel. La collection reflète aussi l’opulence de la maison. L’or s’y diffuse partout pour mettre en lumière le travail des artisans : les marqueteries de plumes de Lemarié dessinent des motifs abstraits, les talons des bottes Massaro sont transformés en bijoux par Goossens et Desrues, les broderies de Lesage forment une carapace de strass sur des robes diaphanes…

Aux références à l’Egypte antique, Karl Lagerfeld injecte son goût pour la pop culture, avec des cachemires ou des blousons brodés de patch du graffeur français Cyril Kongo. Symbole de ce mélange des genres, le musicien star Pharrell Williams, qui, à l’époque, n’a pas encore été recruté par Louis Vuitton et fait partie des « amis de la maison » de la rue Cambon, foule aussi le podium, dans une tenue de pharaon brillante comme un lingot d’or.

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