Médias : les vraies questions posées par Emmanuel Macron

La guerre de l’information est déclarée. Dimanche 30 novembre, la presse de Bolloré a lancé une offensive ulcérée contre Emmanuel Macron après son invitation à « labelliser » les sites et les réseaux produisant de l’information selon des règles déontologiques, pour les distinguer des propagateurs de fake news. Les médias détenus par l’industriel conservateur, suivis par l’extrême droite et une partie de la droite – le groupe Bolloré dictant l’agenda des partis, et non l’inverse –, ont aussitôt dénoncé une « dérive liberticide » et une menace sur le « free speech », reprenant les antiennes de la galaxie trumpiste, reprochant même au président de la République une « dérive autoritaire ». Une charge telle, bruyante et teintée de mauvaise foi, que le chef de l’Etat a jugé bon de préciser ses propos mardi, démentant avoir parlé de « label d’Etat », et rappelant qu’il n’avait nullement l’intention de « créer tel ou tel label », « encore moins de ministère de la vérité ».

M. Macron vient de lancer un chantier sur les risques que les réseaux font peser sur la démocratie. Son intérêt pour le sujet est ancien. Dès 2018, échaudé par la « propagande mensongère » jouée par des médias russes (RT et Sputnik) pendant sa campagne, il avait suggéré une loi pour lutter contre les fausses informations propagées en période électorale. Promulgué le 22 décembre 2018, ce texte crée notamment une nouvelle voie de référé civil visant à faire cesser la diffusion de fake news trois mois avant un scrutin. Mais il est difficilement applicable. Dans le même temps, M. Macron avait jugé « intéressante » l’initiative Journalism Trust Initiative de Reporters sans frontières, consistant à faire certifier – par des cabinets d’audit – les organes de presse respectant une déontologie, pour renforcer la confiance dans le journalisme.

Mais, en faisant ses propres recommandations aux professionnels, le chef de l’Etat, qui est aussi un acteur politique, prend le risque de se voir suspecté d’être juge et partie, de vouloir distinguer ou disqualifier, alimentant la défiance des complotistes qu’il entend contrer. Une stratégie contre-productive. M. Macron n’apparaît pas non plus le mieux placé pour porter ce sujet, ayant entretenu avec la presse, qu’il a toujours tenue à distance, une relation de défiance.

Dès 2017, il a tenté de choisir les journalistes couvrant ses déplacements. Puis a privilégié ses propres relais (Facebook Live, vidéos tournées par l’Elysée, youtubeurs…), en limitant les accès aux reporters, comme aucun de ses prédécesseurs ne l’avait fait. Préférant la communication à l’explication, il a contourné les journalistes dès qu’il le pouvait. Mis en cause aujourd’hui par les médias Bolloré, il a été le premier à banaliser le rachat du Journal du dimanche, incitant ses ministres à lui accorder des entretiens, au nom du pluralisme des médias. Lui et ses conseillers ont également joué aux apprentis sorciers en soignant la vedette de CNews, Pascal Praud, dont ils ont longtemps espéré se faire un allié.

S’il ne semble donc pas être le bon vecteur pour amorcer le débat, M. Macron pose pourtant de vraies questions à dix-huit mois d’une présidentielle qui s’annonce inédite, sous la menace renforcée des algorithmes, ingérences et manipulations afférentes, et le joug d’un groupe Bolloré devenu acteur politique à part entière. Les outils de la riposte, son efficacité aussi, restent à définir. Dans ce combat indispensable contre les fake news, l’éducation et le développement de l’esprit critique aideront sans doute davantage que n’importe quel « label » frappé du sceau d’une institution ou d’une autre, si légitime soit-elle.

Recomendar A Un Amigo
  • gplus
  • pinterest
Commentarios
No hay comentarios por el momento

Tu comentario