Emmanuel Macron l’a martelé au fil de sa visite d’Etat en Chine, du 3 au 5 décembre. L’ordre international, dominé par les Occidentaux depuis la seconde guerre mondiale, est « à un moment de rupture ». « Le risque est de passer d’un monde multilatéral à un monde multipolaire avec quelques puissances qui structurent [les relations internationales], et des vassaux », a expliqué le président français, vendredi, devant des étudiants de l’université du Sichuan, à Chengdu. Une façon pour lui de justifier la relance des relations avec la Chine, afin d’échapper à la logique des blocs, et de défendre les intérêts de la France et des Européens, en les distinguant de ceux des Etats-Unis de Donald Trump, alors que l’allié américain paraît moins fiable que jamais, surtout soucieux de malmener ses alliés et de casser le multilatéralisme.
L’intention du président Macron est louable, et le dialogue indispensable quand il est mené, ce qui a été le cas, sans acrimonie. Cependant, son voyage a surtout montré toute la difficulté pour une puissance moyenne européenne, certes membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, de se faire entendre de la Chine de Xi Jinping. Malgré bientôt quatre ans de guerre en Ukraine, celle-ci reste fidèle à son « amitié sans limites » avec la Russie, rapprochement qu’elle juge fondamental dans son combat contre les Etats-Unis et leurs alliés.
La Chine se considère comme la grande et seule rivale des Etats-Unis. Pour Pékin, les Européens, quel que soit le format de leurs voyages en Chine, ne se démarquent pas assez de Washington, en raison de leurs vulnérabilités et de leurs dépendances, en particulier dans le domaine de la défense. Elle demeure ainsi sourde aux appels à l’aide de M. Macron pour tenter de convaincre le président russe, Vladimir Poutine, d’accepter un cessez-le-feu qui soit autre chose que la reddition pure et simple de Kiev.
Les Européens sont à l’égard de la Chine en position de demandeurs, sans les leviers pour la forcer à réduire son appui politique et industriel à la Russie, même si marteler le même message – le chancelier allemand, Friedrich Merz, et le premier ministre britannique, Keir Starmer, sont attendus en Chine au début de l’année 2026 – concourt au moins à la dissuader d’aller encore plus loin en livrant directement des armes à Moscou.
Pékin s’enorgueillit d’avoir résisté à Trump et obtenu ainsi qu’il renonce à sa guerre commerciale. Ce succès renforce le sentiment de puissance de la Chine, peu encline aux concessions. Il pourrait être mauvais guide, car il l’aveugle sur les fortes réticences qui montent à son encontre. Sur les sujets commerciaux, le cas de Shein est emblématique : les produits à bas coût de la marque textile continuent certes d’affluer, mais contribuent à une impression de submersion qui devient un sujet de débat en France. L’arrivée de voitures électriques chinoises bénéficiant d’un important soutien étatique a déjà conduit l’Union européenne à rehausser ses droits de douane.
Emmanuel Macron a essayé de faire entendre à Pékin que la situation n’était pas « soutenable », mais la Chine continue de produire toujours plus, tandis que son marché intérieur progresse bien moins vite, et elle considère que l’Europe, en déclassement industriel, n’a pas les réponses. Malgré les échanges cordiaux qu’a pu avoir Emmanuel Macron, l’Europe, du fait de ses faiblesses, peine à se faire entendre, tandis que la Chine, du fait de sa force, peine à écouter. Mécaniquement, leur relation se dirige vers davantage de protectionnisme, davantage de méfiance.