Dans sa version originale, en anglais, le premier roman de Yasmin Zaher s’intitule The Coin (« la pièce »). Cela renvoie à une pièce de monnaie avec laquelle la narratrice jouait lorsqu’elle était enfant et qu’elle a avalée par accident. Dieu sait dans quel recoin de ses entrailles ce petit disque métallique est allé se loger : le fait est qu’il n’a été ni recraché ni expulsé, et qu’en apparence du moins « il ne s’est plus jamais manifesté ».
En apparence. Car, devenue adulte, la narratrice (on ignore son nom) est persuadée que cet objet façonne son rapport au monde. « J’étais convaincue qu’elle était à la racine de tout, de mon besoin de contrôler l’univers et, surtout, la saleté. Je craignais aussi que la pièce ait rouillé au fil des années et qu’elle soit en train de se décomposer à l’intérieur de moi. » Faute de pouvoir agir sur cette désagrégation interne, la jeune femme traque de façon obsessionnelle toute salissure extérieure, s’acharnant à nettoyer son corps des orteils au cuir chevelu, le frottant, le récurant, le gommant, le rasant dans ses moindres replis – Zaher ne nous épargne aucun détail anatomique. Un corps ainsi choyé se doit d’être enveloppé des plus beaux habits. Là encore, le lecteur connaît par le menu toutes les marques de luxe qui composent la garde-robe de cette riche Palestinienne émigrée à New York. Des minijupes Celine aux blazers Max Mara, des manteaux Dolce & Gabbana aux plissés Issey Miyake, combien de dizaines de milliers de dollars la narratrice a-t-elle sur le dos ? La pièce symbolique annonçait là aussi la couleur : le corps et l’argent ne font qu’un.