Cela devient une habitude. Washington publie un document stratégique. La Russie s’en félicite. La Chine n’en pense pas moins. Et les Européens, traités avec un mépris obsessionnel qui confine à l’exécration, se récrient, mais en silence. Même si leur indécision les dessert souvent, ces derniers ont pourtant des griefs à faire valoir. La « stratégie de sécurité nationale », publiée vendredi 5 décembre par l’administration de Donald Trump, encense en effet la souveraineté tout en prônant une ingérence de plomb dans les affaires du Vieux Continent. Elle dicte ce que les Européens doivent accepter ou bannir, et qui ils doivent élire.
La brutalisation de la relation transatlantique a concentré l’attention depuis la publication inopinée du document parce qu’elle institutionnalise les diatribes du vice-président, J. D. Vance, à la Conférence sur la sécurité de Munich, en février. Cette brutalisation ne figure pourtant pas en tête des priorités de Donald Trump. Les précèdent en effet l’expression d’un néo-impérialisme décomplexé envers l’Amérique latine, et une vision principalement affairiste de la place des Etats-Unis en Asie, qui ne peut que troubler leurs alliés dans la région.
Après des décennies de désintérêt, Washington entend faire son retour de la manière forte sur l’ensemble du continent américain en posant également l’ingérence comme principe, comme le Panama en a déjà fait les frais. Il s’agit de repousser Pékin, qui a profité de l’absence de Washington pour prendre position dans de nombreux pays, et de lutter à la fois contre le narcotrafic et l’immigration.
Le narcissisme compulsif de Donald Trump a déjà conduit le département d’Etat à ajouter son nom au United States Institute of Peace. La stratégie de sécurité nationale veut aller plus loin, en ajoutant un « corollaire Trump » à la doctrine Monroe, établissant depuis 1823 une primauté des Etats-Unis sur l’ensemble du continent. Histoire sans doute d’entrer dans les manuels scolaires en se posant comme l’égal de Theodore Roosevelt (1901-1909). Ce dernier avait revendiqué en 1904 un « pouvoir de police internationale » discrétionnaire dans ce qui était réduit à une arrière-cour. Le calcul en matière de postérité paraît prudent compte tenu des difficultés rencontrées par les nombreuses « paix » annoncées par le président depuis son retour à la Maison Blanche.