La « stratégie de défense nationale » publiée le 5 décembre par l’administration de Donald Trump a le mérite de la clarté. Y compris pour ce qu’elle n’évoque pas. C’est évidemment le cas de la menace climatique, dont il est désormais interdit de parler à Washington. Il est plus surprenant que celle posée par la prolifération nucléaire ne soit pratiquement pas évoquée, voire totalement passée sous silence dans le cas de la Corée du Nord.
La plus grande différence avec la vision que défendait la première administration du républicain, en 2017, réside dans le rapport à la Russie et à la Chine, alors accusées de vouloir « nuire à la sécurité et à la prospérité des Etats-Unis ». Il n’en est plus question aujourd’hui, pas plus que les guerres hybrides dans lesquelles ces puissances excellent. Leur « amitié sans limites » et sa traduction en termes stratégiques et militaires sont également éludées, alors qu’elles devraient pourtant interroger Washington.
Le document du 5 décembre se contente d’envisager avec Pékin des « relations économiques véritablement mutuellement avantageuses ». Quant à Moscou, qui n’est une menace selon l’administration américaine que dans la perception des Européens, la priorité est de « rétablir les conditions d’une stabilité stratégique » sur le continent, même si un tel objectif omet les faits accomplis russes multipliés depuis près de vingt ans. La répudiation officielle de l’ordre international soucieux de valeurs démocratiques et de droits humains défendu naguère par Washington est la conséquence de cette contre-révolution stratégique. On ne peut que la déplorer, d’autant qu’on voit mal en quoi cette répudiation servira à terme les intérêts des citoyens américains.
Les victimes collatérales du reniement qui fonde cette « stratégie de défense nationale » sont les alliés européens des Etats-Unis, mis plus bas que terre en dépit d’un compagnonnage loyal de huit décennies. La hargne développée dans des passages qui tiennent plus de la diatribe de campagne que de la géopolitique ne surprend guère de la part de Donald Trump. La publication de ce document peut pourtant avoir une vertu, s’il contribue à enfin tirer une bonne partie des dirigeants européens du déni dans lequel ils se complaisent, car le locataire de la Maison Blanche n’a pas tort quand il dénonce avec mépris leurs atermoiements et leurs hésitations.
Avec une telle administration américaine, l’autonomie stratégique n’est plus une option mais une obligation. Car il ne faut pas se méprendre sur ses véritables intentions, lorsqu’elle assure vouloir « corriger » la trajectoire européenne. L’objectif est bien de briser l’Union européenne en vingt-sept morceaux dépourvus de la force du marché unique et des protections garanties par des législations décidées souverainement et validées par un Parlement démocratiquement élu. Donald Trump veut une Europe réduite à une proie pour les intérêts économiques américains, à commencer par ceux des mastodontes de la tech.
Pour y parvenir, le président des Etats-Unis entend soutenir à grand renfort d’ingérences des « patriotes » à courte vue, prêts à sacrifier le projet européen au profit d’illusoires souverainetés croupions, que Washington, mais aussi Moscou et Pékin, pourrait dresser à loisir les unes contre les autres. Nous, Européens, aurions tout à y perdre.