Le vacarme des pelleteuses recouvre le chant des oiseaux. Tout à l’est de Sao Paulo, face au luxuriant parc do Carmo, des engins de chantier travaillent sans répit. Pour les ouvriers, il s’agit de faire sortir de terre, en moins de deux ans, une vingtaine d’immeubles tout neufs, avec balcons et ascenseurs, capables d’accueillir 2 650 familles, soit près de 8 000 personnes. Un quartier entier, « et même une petite ville ! », plaisante Kelly Cristina Silva, future habitante des lieux.
Mais le projet n’a rien d’un condominium de riches. Tous les appartements, fruits du programme social Minha Casa, Minha Vida (« ma maison, ma vie », MCMV), iconique de la gauche brésilienne, seront réservés à des familles de milieux modestes. « [Ce programme] est le résultat de longues années de lutte, de manifestation et de résistance populaire », insiste Kelly Cristina Silva, mère célibataire de 40 ans.
Cette dernière est une activiste de longue date du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), né en 1997 pour défendre le droit au logement des plus modestes. Son modèle, calqué sur le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre, qui se bat depuis quarante ans pour une répartition plus juste des surfaces agricoles, consiste à occuper des biens immobiliers laissés à l’abandon, afin d’exiger leur réhabilitation ou la construction de logements sociaux. Organisation de masse bien structurée, le MTST compte plusieurs dizaines de milliers de militants à travers le Brésil.
Ils ont fort à faire : selon un bilan de la Fondation Joao Pinheiro paru en 2024, il manquait en 2022, 6,2 millions de logements dans le pays. Ce déficit considérable s’est accru de 4,2 % depuis sa dernière étude en 2019 et touche en particulier les femmes et les Noirs, éternels laissés-pour-compte du Brésil, forcés de résider dans des constructions précaires et indignes, du fait de la charge excessive des loyers. Un fléau au cœur des inégalités brésiliennes.
La nouvelle « petite ville » de l’est de Sao Paulo a pour origine une occupation du MTST baptisée Copa do Povo (« Coupe du Peuple »). Car celle-ci a débuté durant la Coupe du Monde de football de 2014, qui vit quantité de familles expulsées pour faire place aux installations sportives, dont le stade Arena Corinthians, situé à proximité, où fut organisée la cérémonie d’ouverture. « On a voulu faire un symbole fort ! », témoigne Kelly Cristina Silva.
« Quand j’aurai les clés en main, je serai très ému. Enfin, un endroit à moi ! », confie Joao Antonio da Silva Filho. Ce militant du MTST était présent le 16 décembre 2023, lorsque Luiz Inacio Lula da Silva est venu en personne lancer le chantier de Copa do Povo. « Moi, je n’ai jamais eu d’appartement avec un balcon ! », plaisantait alors le président de gauche, lui aussi élevé dans l’extrême misère, qui a promis la construction de 2 millions de nouveaux logements d’ici à la fin 2026.