« Bienvenue à Vitalia. La ville où la mort sera optionnelle. » Sous le chapiteau blanc, à quelques mètres des eaux turquoise des Caraïbes, des conférenciers expliquent comment rallonger l’existence. Les participants écoutent, allongés sur des poufs moelleux. Juste à côté, au-dessus de l’immense piscine du Beach Club de Pristine Bay, de jeunes start-upeurs surfent sur Internet grâce aux paraboles Starlink d’Elon Musk, d’autres prennent des cours de yoga ou s’initient aux cryptomonnaies. Dans le laboratoire au sous-sol, on peut se faire implanter des aimants au bout des doigts. Ou, un peu plus loin, se faire injecter de la follistatine pour participer à un essai de thérapie génique sur la longévité.
Un essai qui n’a été validé par les autorités sanitaires d’aucun pays, mais qu’importe. Ici, sur l’île de Roatan, au Honduras, tout est possible. Prospera est une zone d’emploi et de développement économique (ZEDE), sorte d’Etat dans l’Etat, avec ses propres lois, son système judiciaire, sa police, où tout – éducation, santé, services publics – est privé. Une future ville enclave imaginée par des libertariens convaincus que seule la perspective d’un gain économique garantit une bonne gestion.
Cette utopie, ou dystopie, selon le point de vue, s’inspire des « villes privées » conceptualisées notamment par l’économiste allemand Titus Gebel, qui explique : « Pour un tarif [annuel] fixe, la société privée qui administre la ville garantit à ses habitants la protection de la vie, de la liberté et de la propriété. » Trois « droits » qui sont le mantra des libertariens comme le président argentin, Javier Milei. Aux résidents de payer les assurances dont ils ont besoin contre la maladie ou le handicap.
Depuis 2017, Prospera a acquis 2 kilomètres carrés (soit 3 %) de l’île caribéenne de Roatan. Quatre ans plus tôt, une loi hondurienne avait instauré une nouvelle division territoriale, moyennant une modification de la Constitution : les ZEDE. Le but : créer « des centaines de milliers d’emplois » en attirant des investisseurs étrangers dans un pays où 64 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. « Le code du commerce, le code civil, la loi de protection de l’environnement, rien n’est applicable dans les ZEDE », explique Jorge Colindres, secrétaire technique de Prospera, l’équivalent d’un maire. Le code pénal hondurien reste en vigueur « tant que les ZEDE n’approuveront pas leurs propres lois ».
Si la « ville idéale » doit accueillir 10 000 habitants, elle n’a encore ni rues, ni magasins, ni hôpital. Il faut montrer patte blanche à un gardien armé aux barrières, mais ses 2 125 résidents n’y résident pas forcément : le statut s’obtient sur Internet grâce au versement de 1 300 dollars (moins de 1 200 euros) par an – cinq fois moins pour les Honduriens – et sous réserve d’examen de certains critères comme les antécédents judiciaires ou le respect de « la réputation et l’harmonie sociale de Prospera ». « La ZEDE se réserve le droit de ne pas accepter les grands criminels, les communistes et les islamistes », expliquait en 2019 Titus Gebel, investisseur de Honduras Prospera Inc.