Voici maintenant six ans que Nadav Lapid, cinéaste israélien au spectre esthétique inégalé, réitère dans son œuvre des adieux personnels à son pays. Synonymes (2019) ouvrit le bal en reconstituant le raptus monacal qui, à un jeune âge, le conduisit à Paris dans les années 1990. Le Genou d’Ahed (2021), évoquant la tournée amère d’un alter ego victime de la censure dans un hameau du désert israélien, enfonça le clou en accompagnant la décision simultanée du réalisateur de quitter son pays pour s’installer dans la capitale française.
Oui, étrange persistance, y revient aujourd’hui sous le ciel d’apocalypse qui s’est ouvert dans la région à compter du 7 octobre 2023. Voilà, d’un mot défini, l’ambition effarée du film de tenter de descendre, par tous les moyens utiles et inutiles propres au cinéma, dans les profondeurs d’un enfer qui voit chacune des parties en présence ne désormais plus rêver à rien si ce n’est à anéantir l’autre.
Un film qui ne se révèle ni militant ni satirique, mais comme une recherche en temps réel – tâtonnante et vibratile, emphatique et enfiévrée – d’une expression, d’une forme, d’un art, qui soient au diapason de la situation du moment. Pour cela, point n’est besoin de filmer la destruction, seulement l’acquiescement à la barbarie. Soit un art frénétique et grotesque à la fois, qui embrasse plutôt qu’il n’observe les recoins infectés de l’humanité, collecte les immondices de l’âme humaine, s’affronte à la cruauté, à l’obscénité, au cynisme, auxquels elle peut, sans se détruire, condescendre. Quelque chose d’assez repoussant à concevoir, douloureux à recevoir, captivant à percevoir.