Marguerite Duras ou le mystère des origines

L’Amant vient d’avoir 40 ans. Il est beau et jeune pour l’éternité. Marguerite Duras, elle, a 70 ans lorsqu’elle publie, en 1984, aux Editions de Minuit, ce best-seller international traduit depuis en 44 langues. « Je suis mondiale ! », s’émerveille-t-elle. Son public d’intellectuels avertis et par avance conquis devient une foule immense d’admirateurs. L’écrivaine punaise dans l’entrée de son appartement parisien de la rue Saint-Benoît, dans le 6e arrondissement, la double page publicitaire parue dans Le Monde, montrant les courbes de vente du livre. A côté, une photo de la banquise, noire de pingouins, annotée de sa main : « Les lecteurs de L’Amant. »

L’estimation en volatiles est trop modeste : à ce jour, le livre s’est vendu à 2,4 millions d’exemplaires dans le monde, toutes éditions confondues. Prix Goncourt le plus acheté de l’histoire, ce titre emblématique du catalogue reste une manne pour son éditeur : L’Amant n’a jamais été édité en poche.

La métaphore des pingouins, juge la journaliste et écrivaine Laure Adler dans sa biographie Marguerite Duras (Gallimard, 1988), en dit long sur le changement qui s’opère alors chez cette petite femme rieuse, autoritaire, élevée au rang de mythe à la force de l’écriture. Mais qui a besoin d’être rassurée. Ce succès phénoménal dépasse ses espérances. Elle se met bientôt à parler d’elle à la troisième personne. « Duras », dit-elle. Ce pourrait être le titre de l’un de ses trente romans, dix-neuf films et quinze pièces de théâtre où l’œuvre écrite se métamorphose sans cesse de la littérature à la scène et de la scène à l’écran, quand ce n’est pas l’inverse.

Morte en 1996, à 81 ans, Marguerite Duras est toujours lue, jouée, étudiée, dans le monde entier. Le Square, dialogue entre deux inconnus dans un jardin public, paru en 1955 comme roman dans la collection « Blanche » de Gallimard, vient de reparaître, en mai, dans la collection Folio Théâtre, car la pièce, adaptée jadis par Duras, est annoncée au programme du baccalauréat professionnel 2025. Elle a été montée six fois, dont une en 1995 à la Comédie-Française, avec Jeanne Balibar dans le rôle féminin. L’écrivaine, éditée dans La Pléiade en quatre tomes, parus en 2011 et 2014, a figuré au programme de l’agrégation de lettres. Elle est étudiée au lycée et dans les classes préparatoires.

Depuis 2022, la comédienne Dominique Blanc a repris un peu partout en France la version théâtrale de La Douleur (P.O.L, 1985), créée en 2008 par le metteur en scène Patrice Chéreau avec le chorégraphe Thierry Thieû Niang. Ce récit de l’attente et du retour de déportation de Robert Antelme, son mari, en 1945, avait tourné pendant quatre ans, jusqu’au Vietnam et au Japon. Quant au film India Song, au charme aussi exotique et entêtant qu’une mousson, il est vénéré par les cinéphiles et a rempli la salle Henri-Langlois (400 places) en mai, lors de la rétrospective Marguerite Duras à la Cinémathèque française, à Paris. Le « off » du Festival d’Avignon proposait également, en juin et juillet, une représentation de l’interview exclusive de l’écrivaine par Bernard Pivot, pour « Apostrophes », après la sortie de L’Amant.

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