« Le capitalisme américain est d’abord un capitalisme financier »

L’année 1812, tous les enfants de France l’ont appris à l’école, c’est celle où Napoléon perd sa Grande Armée dans les neiges de Russie, prélude à sa chute. C’est aussi, et c’est moins connu, l’année où les Britanniques, alors en guerre avec les Etats-Unis, incendient sa capitale, Washington. C’est également l’année où les Etats-Unis, 7,5 millions d’habitants à l’époque, comptaient plus de 1 000 sociétés par actions dûment enregistrées auprès des tribunaux (chartered corporations), quand la France en comptait 13, la Prusse 8 et l’Angleterre (en 1824) 156, selon le recensement effectué par deux économistes américains, Richard Sylla (Stern School of Business, New York University) et Robert Wright (Augustana University, Dakota du Sud).

Mais le plus surprenant est que, en se livrant au même exercice que le magazine Fortune, qui classe depuis 1955 les 500 plus grandes sociétés américaines (puis mondiales) par taille de leur capital, les deux chercheurs avancent une thèse qui révise quelque peu le schéma classique de la chronologie du business : au capitalisme « marchand » – celui des armateurs et du commerce colonial – des XVIIe et XVIIIe siècles aurait succédé le capitalisme « industriel » des chemins de fer et des usines au milieu du XIXe siècle, puis le capitalisme « financier » des banques, des bourses et des fonds spéculatifs au début des années 1980.

Car sur les 500 plus grandes capitalisations de 1812 aux Etats-Unis, 130 (soit 26 %) sont des banques (dont les 5 plus grandes, et même 9 des 10 plus grandes, la neuvième est un négociant en fourrures, 27 des 30 plus grandes). Ces 130 banques réunissent à elles seules 72 % du capital des 500.

A titre de comparaison, les constructeurs d’infrastructures (ponts, canaux, grandes routes) représentent 32 % des 500, mais 12 % seulement du capital, les industriels 20 % de l’effectif et 11 % du capital. La City Bank of New York, qui occupe en 1812 le 5e rang de ce Fortune 500 historique, est devenue Citigroup, la plus grande entreprise de services financiers du monde. La Manhattan Company, au 8e rang, est maintenant la J.P. Morgan Chase, la plus grande banque des Etats-Unis.

Les Etats-Unis sont devenus, entre la fin de la guerre de Sécession (1861-1867) et la fin du XIXe siècle, la plus grande puissance industrielle et agricole du monde, et en 1913 la première puissance exportatrice, détrônant la Grande-Bretagne. Mais ce sont les investissements des grandes banques, fondées entre 1791 et 1812, qui ont financé cet essor. Le capitalisme américain est d’abord un capitalisme financier, drainant les bénéfices des négociants, des banques elles-mêmes et des propriétaires fonciers. Mais c’est dans le nord-est des Etats-Unis, et non au sud, que se trouve concentré le Fortune 500 de 1812 : les Etats de New York, du Massachusets et de Pennsylvanie comptent pour 63 % des entreprises et 56 % du capital.

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