Depuis le 7 novembre, les ressortissants russes ne peuvent plus se voir délivrer de visas à entrées multiples au sein de l’espace Schengen et devront déposer une demande de visa à entrée unique avant chaque voyage. Cette décision m’affecte profondément, et ce pour plusieurs raisons.
Je suis un opposant politique russe – ou plus exactement un youtubeur en exil. Le gouvernement russe ne m’aime pas parce que je dis la vérité sur la guerre en Ukraine et que je dénonce les raisons pour lesquelles il l’a déclenchée. Quelque 10 millions de Russes regardent ma chaîne YouTube, où je publie un épisode par jour.
Ma vie d’aujourd’hui ne ressemble pas à ma vie d’avant. Il y a vingt ans, à 21 ans, j’ai pour la première fois eu l’occasion de voyager en Europe. Je suis d’abord allé à Tallinn, en Estonie, qui n’était qu’à une nuit de train. Ensuite, j’ai eu envie de voir à Paris. Pour un Russe de cet âge, ce n’était pas facile de décrocher un visa, et il a été nécessaire de multiplier les démarches. J’ai adoré ce voyage. Bien sûr, j’avais déjà une idée de ce à quoi ressemblait le monde en dehors de la Russie. Mais si j’avais vécu dans différents pays durant mon enfance, je n’avais jamais mis les pieds en Europe. A l’époque, les dirigeants russes ne lavaient pas le cerveau de leurs concitoyens pour les monter contre le Vieux Continent, mais ils racontaient déjà toutes sortes de choses à son propos. Quel événement ce fut d’enfin voir l’Europe de mes propres yeux !
Je fais partie des rares Russes à avoir eu la chance d’y aller : la grande majorité de la population ne possède pas de passeport et ne peut se rendre à l’étranger. L’année 2019, un an avant la pandémie de Covid-19, fut la meilleure pour voyager en Europe : environ 4 millions de Russes ont obtenu un visa Schengen, soit 2,5 % de la population. A l’époque, lorsqu’ils avaient la chance de pouvoir se rendre en Europe, les Russes allaient surtout en Finlande ou dans les Etats baltes. En général, ils vivaient à proximité de la frontière et s’offraient un week-end sur place. A moins d’y avoir de la famille, les Russes ne partaient d’ordinaire pas en France ou en Allemagne.