« Attendons-nous à voir des villes, départements ou régions multiplier les coupes dans la culture »

L’anniversaire de la naissance de Pierre Boulez (1925-2016) permettra de rappeler ce que le compositeur et chef d’orchestre a apporté à la musique. Disons ici ce qu’il a apporté à la culture : une autorité de l’artiste face à l’Etat qui le subventionne. Il faisait peur au politique. Aujourd’hui les politiques font peur aux artistes. La relation s’est tant inversée que ces derniers ont de quoi s’inquiéter.

Il n’y a que Boulez pour s’exiler en Allemagne, en 1958, estimant que, dans la France musicale, « l’imbécillité y est plus générale que partout ailleurs ». Que lui pour, en 1966, publier un texte fracassant dans Le Nouvel Observateur, intitulé « Pourquoi je dis non à Malraux », dans lequel il vomit la vie musicale ébauchée par le ministre emblématique de Charles de Gaulle. Avant que le président Georges Pompidou ne lui donne les clés de la musique en France au début des années 1970.

L’emprise de Boulez était d’autant plus fascinante que la musique contemporaine est un art de niche, jugé élitiste et dépendant de l’argent public. Sa stature internationale jouait en sa faveur, mais ajoutons qu’il était alors loin d’être le seul à tenir tête au pouvoir politique. A cette époque, au-delà de la méfiance, du mépris, de l’hostilité, et de quelques censures, il y avait surtout une sorte de modus vivendi, un « chacun chez soi », entre le politique et l’artiste. Le très conservateur Maurice Druon, ministre de la culture dans les années 1970, moquait les saltimbanques venant chercher la subvention « avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l’autre », mais il a tenu moins d’un an à son poste.

Et puis le ministre de la culture Jack Lang, au début des années 1980, par sa stature et ses réalisations étalées sur dix ans, a imposé l’artiste roi dans la société. Il a fait jurisprudence pendant trois décennies. Pour un responsable politique, critiquer l’artiste subventionné, c’était se dévaloriser, se démonétiser. Passer pour ringard ou un censeur. Un maire de gauche comme de droite pouvait trouver une pièce ou une exposition inepte, mais il n’en disait rien.

Aujourd’hui, Lang n’est plus le patron et les verrous sautent. Fini les complexes. Des maires et autres élus n’hésitent plus à dire ce qu’ils pensent de telle ou telle manifestation, voire à imposer leur goût. Ils font souvent le procès en élitisme d’une œuvre et en gauchisme de son auteur. Chaque fois, ils s’abritent derrière le goût populaire – qui a bon dos.

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