Affecter un professeur de qualité dans chaque classe de la maternelle à la terminale. A l’heure où il est question de former un gouvernement d’« intérêt général », qui peut contester cette exigence ? Or, si l’on considère que l’avenir du pays sur le plan économique ou démocratique, comme sur celui du vivre-ensemble, dépend largement du bon fonctionnement du système de recrutement et de formation des enseignants, on peut être légitimement inquiet. Rendue publique jeudi 5 décembre par l’éducation nationale sans le moindre commentaire, la diminution du nombre de places offertes au concours du capes externe, principale voie de recrutement des professeurs de collèges et de lycées généraux, n’est que l’un des symptômes d’une crise qui sévit depuis des décennies mais prend, ces dernières années, des dimensions alarmantes.
En 2024, 12 % des postes ouverts au capes sont restés vacants, ce taux atteignant même 36 % en lettres classiques. La pénurie de vocations est telle que, dans chaque discipline, le ministère est contraint de fixer le nombre de postes en fonction du vivier attendu de candidats : plus ce dernier est réduit, plus il restreint le contingent de places, afin de maintenir le niveau du concours et d’afficher un taux de couverture présentable.
Dans les établissements, le recours de plus en plus fréquent à des enseignants contractuels ou aux heures supplémentaires et les absences non remplacées constituent d’autres signes de cette anémie dont souffre l’école. Un mal qui risque de s’aggraver du fait qu’environ 300 000 enseignants doivent partir à la retraite dans les dix ans qui viennent.
A l’automne 2023, un nouveau ministre de l’éducation plein d’énergie, Gabriel Attal, avait ouvert le grand chantier de l’« attractivité » du métier d’enseignant. La pièce maîtresse de ce projet – le recrutement des professeurs dès le niveau de la licence (bac + 3), au lieu du master 2 (bac + 5), et leur formation rémunérée pendant deux ans – était, à juste titre, considérée comme cruciale. Au point que, le 5 avril 2024, Emmanuel Macron, grillant la politesse à M. Attal devenu premier ministre, annonçait lui-même que le nouveau parcours de formation, destiné à élargir le vivier de recrutement et à améliorer la formation, serait mis en œuvre dès la rentrée de septembre. Depuis lors, le chaos politique provoqué par la dissolution de l’Assemblée nationale, la valse des ministres et surtout les arbitrages budgétaires défavorables ont renvoyé la réforme – qui peut être décidée par décret mais coûterait 600 millions d’euros sur 2025-2027 – dans les limbes.
L’enjeu n’est pas seulement quantitatif. Depuis longtemps, la crise de recrutement mais aussi les querelles autour du difficile équilibre entre transmission des savoirs et formation pédagogique ont conduit à d’incessants bouleversements des cursus – cinq réformes depuis 1989 –, souvent tournés vers leur allègement et l’affectation rapide dans les classes. Le projet actuellement gelé, assez largement approuvé dans son architecture générale mais contesté dans ses modalités, demande sans doute à être rediscuté.
Attirer des vocations suppose non seulement la mise en place d’aides financières mais aussi l’assurance de n’être placé devant des élèves qu’une fois solidement préparé. La question de la formation et de l’accompagnement des jeunes enseignants doit être prise à bras-le-corps par le prochain gouvernement. C’est une question vitale pour l’avenir, surtout dans un pays où « école » est une autre manière de dire « République ».