Un vent mauvais, voire malsain, souffle sur les relations franco-algériennes. De gesticulations en rodomontades, l’escalade a pris un tour inquiétant depuis une semaine. Le lien Paris-Alger a certes toujours été compliqué, ballotté par des cycles récurrents de fâcheries et de rabibochages, miroir d’une histoire passionnelle mêlant tragédie et proximité. La secousse actuelle est toutefois la plus violente depuis vingt ans. Elle est d’autant plus préoccupante que les forces de rappel ont cédé.
Le dernier accès de fièvre est né de la reconnaissance par le président Emmanuel Macron, le 30 juillet 2024 et réitéré le 29 octobre 2024 à Rabat, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Ce revirement diplomatique a ulcéré Alger, soutien des indépendantistes sahraouis. Il s’est aggravé avec l’arrestation à la mi-novembre de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, condamnée par M. Macron comme un acte qui « déshonore » l’Algérie. L’animosité s’est ensuite enflammée avec la querelle autour d’influenceurs algériens en France qui profèrent des menaces de violences inacceptables sur les réseaux sociaux contre des opposants au régime.
Quatre d’entre eux ont été interpellés, dont l’un a fait l’objet d’une expulsion ratée vers l’Algérie. Le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a vu dans cet incident une volonté d’Alger d’« humilier la France ». A titre de représailles, son collègue garde des sceaux, Gérald Darmanin, a brandi la menace de supprimer l’exemption de visas pour les détenteurs de passeports diplomatiques, distribués généreusement par Alger aux familles de la nomenklatura.
Jusqu’où ira cette spirale de l’hostilité mutuelle ? Quand on se souvient des espoirs nés de la tentative de réconciliation mémorielle lancée par M. Macron en 2022, aujourd’hui dans les limbes, on mesure l’étendue des dégâts. Les raisons de cette rechute sont connues. Le régime algérien n’a jamais vraiment joué le jeu de l’apaisement mémoriel, lui qui ne survit qu’en activant la martyrologie d’un passé douloureux, tandis que M. Macron a édulcoré son élan initial à force de frileux euphémismes pour éviter le procès en « repentance ».
Le basculement promarocain de la diplomatie française au Maghreb, effet de sa frustration à l’égard d’une Algérie enkystée, et alors que Rabat continue de marquer des points sur la scène internationale, a achevé de transformer le dépit en antagonisme.
La sortie de crise tient dans un chemin de crête sur lequel il faut s’avancer avec subtilité. Il ne faut nourrir aucune illusion à l’égard d’un système de pouvoir à Alger aspiré par son obsession de la survie dans une délétère fuite en avant, répressive et paranoïaque. De ce point de vue, la fermeté sur ses manœuvres opaques en France est parfaitement justifiée. Simultanément, il est impératif d’éviter en France l’irresponsabilité de postures belliqueuses dont on ne devine que trop les arrière-pensées électoralistes.
Le matraquage orchestré par certains médias, attisé par des responsables de la droite et l’extrême droite, atteint moins le régime d’Alger que les Algériens de France eux-mêmes, dont la plupart sont parfaitement intégrés dans la société et respectueux de ses lois. Le discours sur leur déloyauté potentielle à l’égard de la République est dangereux. Il n’aboutirait, en les fragilisant et en les désespérant, qu’à les rejeter dans les bras d’un pouvoir algérien trop heureux de se présenter en protecteur.