Il y a trente ans, le projet de la Philharmonie de Paris était promis au désastre. Elle fête ses 10 ans dans le triomphe. A lire les spécialistes, elle est une des salles symphoniques les plus performantes au monde tout en étant pionnière dans la quête d’un public jeune et divers. Son histoire est typique d’une France qui râle, dézingue, avant d’oublier le fiel.
Quand l’idée de construire cette salle se dessine, dans les années 1990 et 2000, on n’imagine pas la virulence des oppositions chez ses bénéficiaires, les mélomanes mais aussi des personnalités diverses, responsables politiques, cadres culturels ou mécènes. Curieux mais encore très français.
Car c’est loin d’être juste une question d’argent. Les mélomanes ont leurs habitudes Salle Pleyel, temple Art déco de la musique classique, pas loin des Champs-Elysées. Ils s’indignent quand ils apprennent que les grands orchestres et solistes pourraient quitter Pleyel – promise à d’autres styles de musiques – pour une nouvelle salle.
Leur rappeler que Paris n’a pas une salle symphonique digne de ce nom, que Pleyel (1 900 places) est médiocre pour l’ouïe et la vue, jurer que la salle en gestation sera à la pointe du progrès, c’est pisser dans un violon. Des musiciens sont même persuadés que rien ne vaut le son des vieilles salles et qu’il ne faut rien changer.
La bronca repose en fait sur deux motifs inavoués. Le promoteur de cette salle symphonique est le compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez, jugé radical dans ses goûts. Bref, on ne va pas donner un joujou à « un type qui fait de la musique hermétique ».
Surtout, la nouvelle salle est prévue dans le parc de La Villette, dans le 19e arrondissement. Autant dire, au bout du monde. Passer du cossu Ouest parisien – où résident les deux tiers du public de Pleyel – au populaire Est parisien est impensable. Les mots flirtent parfois avec la vulgate douteuse : « Le public ne viendra pas », « vous n’y pensez pas », « c’est trop loin », « les mélomanes ne prennent pas le métro », « on va rayer ma voiture », « on veut emmerder les riches ».