Remettre ça ? Il ne demanderait pas mieux, Romain Bardet, qui connaît par cœur l’enchaînement de difficultés sur les 50 derniers kilomètres de la 11e étape ce mercredi 10 juillet vers Le Lioran (Cantal), le terrain de jeu de son enfance, de ses premiers exploits. Gagner ici, sur les pentes des volcans d’Auvergne, serait un accomplissement total. « Tout le monde sait que j’aimerais être devant, commente-t-il. Je suis attaché à ces terres-là et je n’ai pas envie de me cacher dans le peloton jusqu’à Nice. Mais je ne me fais pas trop d’illusions. »
Son Tour de France est déjà réussi, après son feu d’artifice inaugural, son succès au bout du suspense sur la première étape de la Grande Boucle à Rimini en Italie. Bardet maillot jaune, le premier de sa longue carrière, pour son dernier Tour de France, bellissime histoire. Et victoire faramineuse, tant il est difficile aujourd’hui d’arracher une étape vers les cimes aux ogres Pogacar, Vingegaard, Evenepoel ou Roglic.
« Sur le Tour, les gros coups se jouent à l’instinct ou à la surprise, et j’ai montré que c’était possible, souligne Romain Bardet. Mais si, avec leurs équipes, les quatre fantastiques ciblent une étape et décident de rouler, ils ont la mainmise sur la course, et voilà. »
Dire une certaine frustration avec le sourire, c’est ce à quoi s’appliquent la plupart des grimpeurs, les spécialistes du genre français, David Gaudu en tête, ne faisant pas exception. Le leader de la Groupama-FDJ a abandonné toute ambition de bien figurer au classement général dès la première journée, lui qui finit au pied du podium lors de l’édition 2022.
Il assure du coup apprécier de courir « libéré », mais toujours « le couteau entre les dents ». L’appétit resterait féroce, mais le banquet rare. « Je sais très bien que si j’arrive dans le dernier col avec Pogacar, à la pédale, il n’y aura rien à faire, lâche-t-il. Mais on va au charbon chaque matin, et peut-être qu’un jour ça s’ouvrira. »
Au Lioran comme quelques jours plus tard dans les Pyrénées, Guillaume Martin promet comme toujours d’être « offensif ». Premier tricolore au classement général (23e), le leader de l’équipe Cofidis veut encore croire en ses chances de figurer dans le top 10 au final. Mais lever les bras sur ce Tour est plus hypothétique.
« À la régulière, c’est difficile d’exister, reconnaît-il. Les choses étaient plus simples dans les années 2010, où l’on parvenait encore à se glisser dans un trou de souris. Je ne me sens pas pour autant frustré face aux champions actuels au-dessus du lot. C’est compliqué, mais le gamin que j’étais à 16 ou 17 ans ne serait pas déçu de ce que je vis aujourd’hui. »
Positiver, en somme, et espérer des miettes. Coéquipier de Romain Bardet dans l’équipe DSM, Warren Barguil voudrait bien lui aussi miser sur l’étape du Massif central ou sur le passage dans les Pyrénées le week-end prochain pour connaître à nouveau la sensation d’une belle échappée, comme sur le col de l’Izoard quand il conforta son maillot à pois de meilleur grimpeur du Tour 2017.
« Mais les quatre fantastiques dominent tellement l’affaire que s’envoler est une gageure, regrette-t-il. Il faut se lancer tôt, ce qui demande une énergie folle pour tenir jusqu’au bout. À 32 ans, je me dis juste que je suis assez content d’être devenu professionnel au début des années 2010. Pour les jeunes aujourd’hui qui vont devoir se coltiner pendant dix ans les phénomènes qui dévorent tout, ce ne doit pas être évident. »
Le cyclisme comme le tennis du temps de la domination sans partage de Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic ? « La comparaison est valable, mais l’on peut se dire aussi que l’on participe à un certain âge d’or du cyclisme », se satisfait Guillaume Martin.
En tout cas, la situation n’entame pas l’enthousiasme de Lenny Martinez, qui découvre cette année la Grande Boucle. Le grimpeur de la Groupama-FDJ, qui fêtera ses 21 ans ce jeudi 11 juillet, apprend et constate que « prendre une échappée dans les étapes de montagne, c’est presque une bagarre comme à l’arrivée, mais bien avant l’arrivée. On laisse beaucoup de cartouches, et après, on est mort. Alors quand les équipes de favoris lancent leurs machines, ce n’est même pas la peine d’essayer ». Il n’empêche. Il refuse de voir son horizon bouché. « Mentalement, je suis frais », jure-t-il. L’éternelle force de la jeunesse.