Spécialiste de l’histoire des idées, l’historienne américaine Sophia Rosenfeld publie The Age of Choice : A History of Freedom in Modern Life (« L’ère du choix : une histoire de la liberté à l’âge moderne », Princeton University Press, non traduit). En s’appuyant sur le travail présenté dans cet ouvrage, la chercheuse livre une réflexion sur la conception dominante de la liberté et ses implications politiques contemporaines.
Le sens actuel du mot « liberté », en particulier aux Etats-Unis, tend effectivement à la représenter comme la capacité de choisir. Aujourd’hui, la sensation de liberté s’éprouve dans une expérience spécifique : celle de pouvoir faire des choix pour soi-même parmi un ensemble d’options – partir en vacances ici ou là, acheter ce pull-ci ou ce pull-là, voter pour ce candidat-ci ou ce candidat-là.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette conception de la liberté est très contemporaine. Dans le passé, en Occident, la liberté a pu être envisagée comme le fait de faire bon usage de sa volonté pour rester dans le droit chemin. L’allégorie du choix herculéen était utilisée au début de l’époque moderne pour expliquer ce principe : Hercule, déchiré entre deux femmes, l’une représentant la vertu et l’autre le vice, atteint une forme de liberté en décidant de suivre la première malgré les tentations de la seconde – c’est-à-dire en choisissant consciemment de vivre selon des principes moraux. La conception contemporaine de la liberté, calquée sur le modèle du choix consumériste ou du vote démocratique et étendue à toutes les sphères de la vie, est donc un développement moderne.
Si l’on met côte à côte tous les grands théoriciens de la liberté, d’Emmanuel Kant à John Stuart Mill puis John Rawls, on peut repérer une évolution du rôle accordé au choix dans l’histoire de la pensée libérale. Mais ces théorisations n’auraient pas eu un tel écho si elles n’avaient pas été précédées par des changements concrets dans le cadre de vie et les pratiques sociales des gens ordinaires, qui ont progressivement donné un caractère d’évidence à cette vision de la liberté comme choix.