Livre. Spécialiste de l’Afrique, le grand reporter à La Croix Laurent Larcher a été confronté à de nombreuses reprises à des situations de violence extrême, comme le lynchage et le démembrement orgiaque d’un homme, dans une rue de Bangui, pendant l’opération « Sangaris » en décembre 2013. La scène, effroyable, ouvre son livre. En tant que spectateur, a-t-il participé à cette violence ? C’est l’une des questions vertigineuses qu’il soulève dans son livre La Fureur et l’Extase (Bayard, 288 pages, 20,80 euros). « Ce métier nous rend fou, nous aveugle et nous enivre », écrit-il.

Quelques mois après cette scène, en mars 2014 à Kigali, en marge du 20e anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda, plusieurs correspondants de presse évoquent ensemble leurs expériences. Lorsque Larcher raconte le lynchage auquel il a assisté à Bangui, l’un d’eux lâche en souriant : « C’est l’Afrique. » Ce vieux cliché raciste, qui fait du continent un monde différent du nôtre, « barbare », « sauvage », le transperce. Il en a la nausée. Son livre est né de cette réaction-là. Ce qu’il s’emploie à montrer, c’est que « ce n’est pas l’Afrique » et que nous avons tous la violence en partage. Cette propension au carnage fait-elle partie de notre inhumanité ou de notre humanité ?

Au fil de son récit, l’auteur propose une réflexion sensible sur notre rapport à la violence, qu’il éclaire par la mythologie (le roi Penthée), l’histoire (le massacre de la Saint-Barthélemy en 1572, les campagnes coloniales…) la littérature (William Faulkner, Toni Morrison) ou la philosophie (René Girard, Michel de Montaigne, Hannah Arendt). Ce que le journaliste a compris, c’est que la guerre est contagieuse. Elle transforme ceux qui l’approchent ; elle les « dévore de l’intérieur ». Quand il revient d’un reportage et qu’il retrouve son cocon familial, une part de lui reste là-bas : « Chaque année, à Noël, je sens quelque chose s’éteindre en moi. Chaque année, je m’éloigne de la rive commune. »