C’est vrai que les livres de Christine Angot affrontent la mainmise des hommes, et d’abord celle du père incestueux. Mais ils célèbrent aussi la joie d’être fille et les pouvoirs qui vont avec. En particulier la force de sauver la mère, de la soustraire à la violence, à la honte. Ne manquant jamais une occasion de lui rappeler ses origines modestes, son infériorité sociale, Pierre Angot faisait reproche à Rachel, la mère de Christine, de ne pas savoir décrire un paysage. Des décennies plus tard, avec Un amour impossible (Flammarion, 2015), la romancière utilisait l’art de la description pour rendre justice à sa mère. Aujourd’hui, c’est au tour de sa propre fille, Léonore, de voler au secours de la mère. De femme en femme, ce passage de témoin est l’une des beautés de La Nuit sur commande.
Pour écrire son livre, qui paraît dans la collection « Ma nuit au musée » (Stock), Angot s’est retrouvée à la Bourse de Commerce-Collection Pinault, à Paris. Elle était censée dormir là, évoquer les œuvres qui s’y trouvent. Au lieu de quoi elle a quitté les lieux à 1 heure du matin et fait de cette non-visite le prétexte d’une méditation tour à tour dure et drôle sur le monde de l’art et sur sa propre place dans ce monde.
Jeux de pouvoir et sincérités velléitaires, gloire mondiale et minuscules vexations, abaissements routiniers et sursauts de dignité : ça, Angot connaît, elle sait mettre des mots dessus. Elle a notamment le courage de raconter les mille et une fois où elle a dit oui alors qu’elle aurait pu faire autrement, les histoires pathétiques avec tel journaliste ou telle « espèce de banquier », les dîners mondains où lui prenait l’envie de « disparaître sous terre », tous ces moments où elle a renoué avec la « panique d’animal chassé » qui était déjà la sienne quand son père la violait, entre deux visites au musée.