En juillet 2022, cinq mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Wolfgang Schäuble, figure marquante de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) allemande, émit une idée audacieuse : la France, l’Allemagne et la Pologne, expliqua-t-il dans une interview au journal Welt am Sonntag, devraient prendre ensemble l’initiative d’une politique de défense européenne plus forte, dont l’un des éléments serait une « dissuasion nucléaire au niveau européen ». Puisque la France disposait d’une telle force de frappe, il était donc à ses yeux « dans l’intérêt des Allemands » de contribuer financièrement à cette force « en échange d’une dissuasion nucléaire commune ».

La proposition ne souleva ni indignation de l’autre côté du Rhin, ni enthousiasme de ce côté-ci. Malgré la tendance de Vladimir Poutine à brandir la menace nucléaire pour effrayer les alliés de l’Ukraine, ni Berlin ni Varsovie ne pensaient avoir alors besoin du parapluie français : les Etats-Unis, alliés numéro un, disposaient d’un parapluie nucléaire bien plus impressionnant à déployer sur l’Europe.

Trente mois plus tard, Wolfgang Schäuble, disparu fin 2023, n’est plus là pour assister au brutal retournement géopolitique qui l’aurait sans doute profondément choqué, lui, le fervent atlantiste, mais qui rend sa proposition parfaitement opportune. Si opportune que le probable futur chancelier, Friedrich Merz, grand admirateur de M. Schäuble, vient de la remettre à l’ordre du jour : puisque les Etats-Unis de Donald Trump se détournent de l’Europe et semblent s’aligner sur les positions de la Russie, il faut « discuter avec les Britanniques et les Français pour savoir si leur protection nucléaire pourrait également s’étendre » à l’Allemagne, a déclaré le leader démocrate-chrétien dès le 21 février, deux jours avant de remporter les élections. M. Merz a réitéré cette position de principe le 9 mars à la radio Deutschlandfunk : « Nous devons simplement devenir plus forts ensemble en matière de dissuasion nucléaire en Europe. »