Une forte fatigue. De la fièvre. Une incapacité à se lever de son lit. Au départ, Sabine a juste cru qu’elle avait une angine. Ou plutôt des angines, à répétition, qui ressurgissaient tous les mois. Mais non, pas d’angine. Puis elle a fait un test pour la mononucléose. Négatif. Les médecins ont ensuite évoqué un Covid long, jamais confirmé par des analyses. Il a été questions d’un problème aux amygdales, d’une tumeur, puis d’une maladie auto-immune, ou encore d’une dépression liée à la pression professionnelle…
De quoi Sabine souffre-t-elle ? Les médecins sont incapables de le lui dire clairement. Et cela fait quatre ans que cette errance diagnostique dure. Épuisée par ce qu’elle appelle ses « crises », la trentenaire est en arrêt de travail depuis mars dernier. Face à l’incertitude, « on se sent impuissant et seul » décrit la jeune femme. « Et encore, j’appartiens à une famille de médecins, j’ai plus facilement accès à l’information, mes proches ont des contacts, une compréhension des choses, ils peuvent lire des analyses… Comment font celles et ceux qui ne sont pas dans mon cas ? »
Ils « angoissent en silence », à entendre Yasmine Candau, présidente de l’association EndoFrance, qui regroupe des patients souffrant d’endométriose, une maladie pour laquelle le retard de diagnostic est fréquent. « Jusqu’en 2020 et le lancement d’un plan national sur l’endométriose, le délai moyen d’identification de la pathologie était de sept ans, précise la porte-parole. C’est long, sept ans. » Mais pas une exception.
Des exemples : l’errance diagnostique dure entre cinq et dix ans pour la bipolarité, indique la littérature scientifique. Quant aux personnes vivant avec une maladie rare, elles attendent quatre ans en moyenne avant d’être diagnostiquées, selon un baromètre Eurordis récent de l’alliance Maladies rares. Or « plus le délai de prise en charge est long, plus il y a de souffrance dans l’intervalle », constate le psychiatre Jean-Philippe Lang, qui a contribué à créer un test sanguin pour diagnostiquer la bipolarité, promettant un résultat en quatre semaines.
Comment expliquer cette impuissance ou ce retard à mettre un nom sur une pathologie qui peut entraîner des pertes de chance (d’être moins bien pris en charge, d’avoir moins de séquelles, etc.) pour les patients, faute d’être traités assez tôt, ou une baisse de la qualité de vie ? D’abord, pour des raisons parfois « logistiques » déplore Gérard Raymond, président de France assos santé. « Le manque de médecins fait qu’il est compliqué d’obtenir des rendez-vous. S’il faut quinze jours pour obtenir une première consultation chez un généraliste, puis trois mois pour voir le spécialiste vers lequel il vous envoie, cela retarde d’autant l’éventuel diagnostic. »
D’autant plus lorsque la maladie est rare (autrement dit, qu’elle touche moins d’une personne sur 2000). « Là, il y a encore plus de risque que vous passiez sous les radars, constate Hélène Berrué-Gaillard, présidente de l’Alliance des maladies rares. Car les médecins sont formés aux maladies les plus fréquentes, qu’ils identifient, mais ne pensent pas toujours à chercher du côté de nos 7 000 pathologies moins répandues, mais qui affectent pourtant trois millions de personnes en France. » Il existe pourtant une base de données et des centres de références. Mais « les médecins n’ont pas toujours la culture du doute » poursuit Hélène Berrué-Gaillard.
Sabine l’a vécu. « Les médecins n’acceptent pas de ne pas savoir. » Certains considèrent donc que s’ils ne trouvent rien, c’est qu’il n’y a pas grand-chose. « On ne m’a jamais dit que j’étais hypocondriaque, mais j’ai entendu que j’étais une chochotte. Cela peut être violent, l’errance médicale, avec des soignants pas toujours bien traitants. »
Des remarques rapportées également par Yasmine Candau, d’EndoFrance. « Quand vous traversez des douleurs terribles à chaque fois que vous avez vos règles mais que le médecin vous dit simplement qu’il existe des femmes plus douillettes que d’autres, c’est rude. » En l’absence de diagnostic, il y a en effet, « une tendance des professionnels de santé à psychologiser le malade, surtout s’il s’agit d’une femme », constate Hélène Berrué-Gaillard. Conséquence : « Lorsque le diagnostic, même tardif, tombe après des années d’errance, les patients peuvent ressentir un vrai soulagement, en se disant qu’ils n’étaient donc pas fous », pointe Yasmine Candau.
Car la souffrance physique peut aussi être aussi psychique. « C’est plus fort que soi. Au début, on se dit que ça va passer. Puis on imagine que l’on a quelque chose de grave, c’est très insécurisant », se rappelle Héloïse, dont la névralgie cervico-brachiale, une douleur pourtant répandue, souvent surnommé la « sciatique du cou », a mis neuf mois à être diagnostiquée, il y a cinq ans.
Neuf mois pendant lesquels elle a d’abord serré les dents, puis erré de cabinet en cabinet, avant d’atterrir aux urgences, persuadée qu’elle faisait une crise cardiaque, la névralgie irradiant le bras gauche. « J’étais tellement épuisée par cette douleur lancinante qui ne passait pas, que j’ai tapé mes symptômes dans Google. Je déconseille, ça ne fait que renforcer le stress », précise celle qui, d’habitude résistante à la douleur, était devenue persuadée à l’époque qu’elle avait la sclérose en plaques. De quoi créer un sentiment d’abandon et entamer la confiance envers une médecine qui vous laisse seul avec votre inquiétude.
Pour autant, le docteur Jean-Philippe Lang ne jettera pas la pierre à ses confrères. « Un diagnostic associe un examen clinique, des symptômes (par exemple un mal de tête, de la fatigue) et des marqueurs biologiques (comme un taux de protéines, etc.). Si l’un des trois éléments n’est pas révélateur, cela peut corser la pose d’un diagnostic. Avant d’être clairement identifiée, la bipolarité peut tout à fait être confondue avec une dépression classique, par exemple. Et il faudra attendre un épisode maniaque, durant lequel le malade est exalté, pour faire évoluer ses conclusions. »
Mathilde, 30 ans, en errance diagnostique depuis deux ans, confirme ces possibles difficultés à établir des pistes précises malgré la bonne volonté des médecins. « J’ai pris beaucoup de poids et développé une pilosité importante, sans changement particulier dans ma vie ayant pu provoquer cela. Entendant ma détresse, un médecin généraliste m’a fait faire des examens et analyses approfondies. Il m’a même fait hospitaliser. Mes dosages sont limites, mais pas hors norme ni alarmants. J’ai un dérèglement, en effet, mais pas assez grand pour rentrer dans la case pathologique. Du coup, on ne sait pas. »
Le risque, avec l’errance diagnostique, est alors que la douleur et la fatigue deviennent « chroniques », explique Yasmine Candau, et qu’elles aient un impact sur la vie sociale, professionnelle ou personnelle.
Quel est le déclic qui, un jour, fait qu’un diagnostic est posé ? Pour Héloïse, et sa névralgie cervico-brachiale, ce fut un énième changement de médecin. « J’imagine qu’il a porté un regard neuf sur mon cas » estime la quadragénaire, qui, en quelques séances de kiné ciblées a vu s’envoler la douleur.
Pour Hélène Berrué-Gaillard et Gérard Raymond, comme pour Yasmine Candau, l’errance médicale peut se réduire dès lors qu’il y a une meilleure information, formation continue et coordination entre les professionnels de santé. « Les choses avancent pour l’endométriose », admet la militante associative, qui constate que les médecins sont « plus sensibilisés au sujet ». Ils ne pensent plus uniquement que l’endométriose est une affection « à la mode » et orientent de plus en plus vers des radiologues qui, bien formés, disposent d’un protocole de lecture spécifique. Un mouvement vertueux à déployer, pour répondre au cercle vicieux de l’incertitude chez les patients.
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Les enfants et les adolescents souffrant de maladies rares ont des parcours diagnostic beaucoup plus longs que les adultes et les nourrissons. Douze ans d’errance en moyenne pour les 10-20 ans, contre quatre ans pour les jeunes adultes.
Les femmes mettent plus longtemps à être diagnostiquées. 5 ans et 5 mois contre 4 ans et 8 mois pour les hommes.
56 % des répondants indiquent que leurs symptômes avaient été négligés, pas pris au sérieux ou considérés comme psychologiques.
53 % ont déjà été mal diagnostiqués, et 17 % ont consultés au moins huit professionnels de santé différents.