Exposer le dialogue de deux peintres n’est pas chose aisée. On peut jouer des comparaisons quand ils ont travaillé ensemble sur le motif, comme Matisse et Derain. Ou orchestrer leur confrontation quand ils furent rivaux, comme Matisse et Picasso. Mais comment montrer la relation, tissée d’admiration, entre Matisse et Miró, que presque vingt-cinq ans séparent, qui n’ont jamais travaillé côte à côte et qui, « sans avoir d’influence directe, se sont parfois appuyés l’un sur l’autre pour devenir eux-mêmes », comme le résume l’historien de l’art Rémi Labrusse ?
Pour relever le défi, celui-ci a réuni quelque 125 œuvres du duo, grâce à des prêts généreux notamment du Centre Pompidou et aux collections permanentes du Musée Matisse de Nice et de la Fondation Miró de Barcelone, associés pour cette exposition (1).
Au début, c’est le jeune Miró qui regarde Matisse bien sûr. L’invention du fauvisme, en 1905, à Collioure, a rapidement des échos de l’autre côté de la frontière, en Catalogne. Certaines toiles de Matisse sont exposées à Barcelone dont, en 1917, cette Nature morte aux coloquintes (prêtée par le Museum of Modern Art de New York), toute en cernes noirs et aplats de couleurs pures. Un paysage de Siurana, brossé par Miró la même année dans des tons explosifs, s’en souvient et, plus encore cette Nature morte II – La Lampe à carbure (1922-1923), où les objets épurés deviennent signes.
Après avoir rejoint à Paris les surréalistes, en 1925, Miró confesse un « mépris » distancié pour les nouvelles odalisques de Matisse. Puis, en 1941, reclus à Majorque, à distance du pouvoir franquiste, il revient à ce dernier. En marge d’un carnet d’esquisses, le Catalan note « que ces toiles ont un esprit fauve (…). Qu’elles rappellent les bonnes toiles de Matisse, mais en les dépassant et en étant plus furieusement “fauves”. »
Faut-il en voir un écho dans une grande gouache, Personnages devant le soleil (1942), constellée de griffures et de taches noires ? On mesure davantage ce que l’aîné a apporté au cadet devant la confrontation de leurs livres illustrés, Jazz (1947) et À toute épreuve (1958), où les notes de couleur pure chantent sur le blanc des pages.
À partir des années 1930, c’est Matisse qui va se tourner vers Miró, dont son fils, Pierre Matisse, expose régulièrement des œuvres dans sa galerie de New York. En 1934, son père participe ainsi à leur sélection chez le marchand Pierre Loeb, à Paris. À sa demande, son fils lui retourne même deux tableaux du Catalan. « Ta mère les trouve très excessifs. Ils m’ont beaucoup intéressé au point de vue couleur et rapport à la matière », écrit Henri Matisse, en remerciement.
Que cherche-t-il, lui qui traverse alors de vrais moments de crise ? Sans doute l’énergie d’un artiste plus jeune, radical, qui ose des collages et peinture sur papier de verre et jette – quand l’Espagne se déchire dans la guerre civile – de l’huile, du goudron et des éclaboussures de caséine sur des supports bruns en masonite.
Deux salles convaincantes réunissent ainsi les deux artistes autour du thème de la défiguration et des monstres, remettant au jour une violence matissienne qui s’accorde à celle de Miró, le premier tout à son esthétique décorative, le second tout à son désir « d’assassiner la peinture ». Voyez ces deux grands nus peints sur un même fond chargé d’ornements, le premier hypersexualisé chez Miró, l’autre neutralisé chez Matisse, dans la raideur d’un mannequin d’atelier.
Interrogé par Aragon sur « qui il tenait, Picasso mis à part, pour un peintre véritable », le vieux fauve répondra « Bonnard… ». Avant de corriger : « Miró… oui, Miró. »