[Patrick Declerck, philosophe de formation, docteur en anthropologie, psychanalyste, a suivi les clochards parisiens pendant quinze ans, dans la rue, les gares, les foyers d’hébergement, au centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, au SAMU social. En 1986, avec Médecins du monde, il a ouvert la première consultation d’écoute destinée aux SDF en France. Il en a tiré un livre-document qui a fait date, Les Naufragés. Avec les clochards de Paris, paru en 2001 dans la collection « Terre humaine » aux éditions Plon. A l’occasion des 70 ans de cette collection fondée et dirigée par le géographe Jean Malaurie (1922-2024), qui a renouvelé le récit ethnographique et le témoignage documentaire, le texte reparaît avec une nouvelle préface écrite par Patrick Declerck, dont nous proposons ici un extrait.]
Mon livre Les Naufragés a été publié pour la première fois en septembre 2001, il y a maintenant vingt-quatre ans. Est-ce si lointain ? Pas vraiment, malheureusement. Bien sûr, la population à la rue a changé. Il suffit de parcourir les villes pour s’en rendre compte. (…) Les visages ne sont plus tout à fait les mêmes. Les clodos côtoient désormais d’autres sœurs et frères en désespérance, mais leurs souffrances restent identiques.
Combien sont-ils aujourd’hui à ne pas avoir de toit pour dormir ? Les chiffres restent approximatifs tant il est difficile de recenser une population à l’abandon. Que peut-on dire sans trop se tromper ? (…) Le 30e rapport sur l’état du mal-logement en France, rendu public en février 2025 par l’ex-Fondation Abbé Pierre, rebaptisée Fondation pour le logement des défavorisés depuis les révélations sur les agressions sexuelles commises par le prêtre, fait état, en 2024, de 350 000 sans-domicile-fixe. (…) Parmi eux une proportion croissante de femmes, d’enfants et d’étrangers. Si l’on voit toujours des clochards en grande peine physique et psychique, on croise désormais des apatrides qui basculent vite dans le dénuement chronique. Et cette vie à la rue est évidemment meurtrière. (…) Face à cette misère persistante et irréductible, 203 000 places d’urgence sont disponibles. Cette offre est nettement insuffisante face aux besoins grandissants. L’hiver mobilise davantage parfois, mais l’été devient une sorte de grand silence. D’ailleurs, l’été, c’est l’évidence, rien ne se passe sinon les vacances. Restons primesautiers ! Vacances pour tous !