Au 46 de la rue Franklin, l’appartement du premier étage est à vendre, mais le nom de l’ancien propriétaire figure toujours sur la porte, gravé sur une plaque de cuivre. Il s’appelait Claude Bloch, il avait été déporté à l’âge de 15 ans et c’est là, dans cet immeuble lyonnais, qu’il est revenu des camps de la mort, en juillet 1945.
Situé sur la Presqu’île, entre Rhône et Saône, le logement a vécu des jours meilleurs. En dehors du sol de l’entrée, rien n’a été rénové depuis la nuit des temps – pas même les papiers peints, qui pendent tristement. Si Claude Bloch a séjourné jusqu’au bout dans ce lieu fatigué, ce n’est pourtant pas faute de moyens mais par décision personnelle.
Année après année, dégât des eaux après dégât des eaux, cet homme né en 1928 a refusé de toucher au décor qui l’avait vu grandir, souffrir, refaire sa vie et, finalement, mourir, en décembre 2023. D’autres auraient peut-être tenté d’effacer les traces des tragédies associées à ce lieu, lui les a conservées. Comme s’il était devenu, en silence, le gardien du souvenir, celui de cette époque maudite et de ses chers disparus.
A son retour de déportation, la ville est libre depuis le 3 septembre 1944 mais la situation n’est pas redevenue normale pour autant. Les rationnements alimentaires sont toujours en vigueur (ils le seront jusqu’en 1949), des dizaines de bâtiments ont été détruits par les bombardements alliés de 1944 et les Allemands ont fait sauter la plupart des ponts avant de se retirer. En mars 1945, une « manifestation de la faim » a réuni plusieurs milliers de personnes place Bellecour, exaspérées par les problèmes de ravitaillement et le trafic de tickets de rationnement.