Il est bientôt 10 heures en ce premier jeudi d’été et le soleil commence déjà à taper sur la place de la Bastille. Au sommet de la colonne de Juillet, le Génie de la Liberté tend sa torche vers un ciel bleu immaculé. L’iconique statue d’Auguste Dumont, entièrement faite de bronze doré, semble montrer le chemin du marché qui se tient là, juste à ses pieds, tous les jeudis et dimanches de l’année, entre les rues Amelot et Saint-Sabin (11e), à l’entame du boulevard Richard-Lenoir.
Les bras chargés de victuailles, Shirley Garrier se fraye un chemin à travers les stands. La jeune femme aux grandes lunettes rondes zigzague au milieu des travées, fleure les touristes en goguette et navigue dans l’embouteillage de cabas. Elle est suivie de près par Mathieu Zouhairi, son compagnon, qui s’attarde devant les étals pour capturer des scènes de vie culinaires. Ses photos et vidéos courtes seront bientôt publiées sur The Social Food, le compte Instagram (227 000 abonnés) qu’ils alimentent, au jour le jour, avec le récit des aventures gourmandes qu’ils mènent partout sur la planète.
« Grâce à l’activité de notre studio créatif, nous avons eu la chance de découvrir plus d’une centaine de destinations ces dernières années, précise Shirley Garrier. A chaque fois que l’on visite un nouveau pays, une nouvelle ville, notre premier réflexe est de nous rendre au marché le plus proche. C’est le meilleur endroit pour capter l’essence de la vie locale et comprendre les habitudes alimentaires des différentes communautés. » En 2022, le couple avait notamment compilé la somme de ses découvertes gastronomiques dans un livre, Retour de voyage. Les recettes The Social Food, publié chez Rizzoli.
Mais, aujourd’hui, Matthieu et Shirley, qui habitent non loin de là, dans le Marais, jouent à domicile. Le marché Bastille est leur premier vivier : celui où ils cultivent leurs habitudes et font leurs courses pour toute la semaine. Ce matin, le premier arrêt se fait chez Maison Lamiche, « charcutier-traiteur depuis 1977 ». Shirley Garrier, qui est d’origine vietnamienne, trouve ici quelques abats rares qui entrent dans la composition de certaines de ses recettes familiales : des oreilles de cochon qu’elle prépare laquées aux cinq épices (poivre de Sichuan, anis étoilé, fenouil, cannelle, clous de girofle) ou des pieds de porc, riche en collagène, qui lui permettent d’enrichir ses bouillons.
Un peu plus loin, le couple s’arrête sur le stand de la poissonnerie La Sablaise, très fréquenté par les différentes communautés asiatiques du quartier. On y trouve des carcasses de poissons, vendues en petits lots, très appréciées dans les cuisines chinoises, vietnamiennes ou japonaises. « Dans ma famille, on prépare beaucoup de bouillons de poissons qui mijotent et servent ensuite de bases aux préparations. J’en garde toujours quatre ou cinq bocaux dans mon frigo », explique notre guide du jour en même temps qu’elle met la main sur deux carcasses de turbot (2 €) et 500 grammes de flanc du même animal (4 €) qu’elle fera griller à la poêle avec du beurre.